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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A Stéphen Heller, quatrième lettre, Leipzig. (3/5) > A Stéphen Heller, quatrième lettre, Leipzig. (3/5) Cette impiété, accompagnée de grands éclats de rire, lui parut trop forte
apparemment, et depuis lors les discussions religieuses furent toujours
écartées. C'est à
Rome que j'appréciai pour la première fois ce délicat et fin tissu musical,
diapré de si riches couleurs, qui a nom : Ouverture de la Grotte de Fingal. Mendelssoln venait de le terminer, et il m'en donna une idée assez exacte ;
telle est sa prodigieuse habileté à rendre sur le piano les partitions les plus
compliquées. Souvent, aux jours accablants de sirocco, j'allais l'interrompre
dans ses travaux (car c'est un producteur infatigable); il quittait alors la
plume de très-bonne grâce, et me voyant tout gonflé de spleen, cherchait à
l'adoucir en me jouant ce que je lui désignais parmi les œuvres des maîtres que
nous aimions tous les deux. Combien de fois hargneusement couché sur son canapé,
j'ai chanté l'air d'Iphigénie en Tauride : « D'une image, hélas trop chérie »
qu'il accompagnait, décemment assis devant son piano. Et il s'écriait : « C'est
beau cela! c'est beau! Je l'entendrais sans me lasser du matin au soir,
toujours, toujours!» Et nous recommencions.il aimait aussi beaucoup à me faire
murmurer, avec ma voix ennuyée et dans cette position horizontale, deux ou
trois mélodies que j'avais écrites sur des vers de Moore, et qui lui plaisaient.
Mendelssohn a toujours eu une certaine estime pour mes... chansonnettes. Après
un mois de ces relations, qui avaient fini par devenir pour moi si pleines
d'intérêt, Mendelssohn disparut sans me dire adieu, et je ne le revis plus. Sa
lettre, que je viens de vous citer, dut en conséquence me causer, et me causa
réellement, une très-agréable surprise. Elle semblait révéler en lui une bonté
d'âme, une aménité de mœurs que je ne lui avais pas connues ; je ne tardai pas à
reconnaître, en arrivant à Leipzig, que ces qualités excellentes étaient
devenues les siennes en effet. Il n'a rien perdu toutefois de l'inflexible
rigidité de ses principes d'art, mais il ne cherche point à les imposer
violemment, et il se borne, dans l'exercice de ses fonctions de maître de chapelle, à mettre en évidence ce qu'il juge beau, et à
laisser dans l'ombre ce qui lui paraît mauvais ou d'un pernicieux exemple.
Seulement il aime toujours un peu trop les morts.
La Société des concerts d'abonnement dont il m'avait parlé est fort nombreuse et
on ne peut mieux composée ; elle possède une magnifique Académie de chant, un
orchestre excellent et une salle, celle du Gewandhaus, d'une sonorité parfaite.
C'était dans ce vaste et beau local que je devais donner mon concert. J'allai le
visiter en descendant de voiture; et je tombai précisément au milieu de la
répétition générale de l'œuvre nouvelle de Mendelssohn ( Walpurgis Nacht). Je
fus réellement émerveillé de prime abord du beau timbre des voix, de
l'intelligence des chanteurs, de la précision et de la verve de l'orchestre et
surtout de la splendeur de la composition.
J'incline fort à regarder cette espèce d'oratorio (la Nuit du Sabbat) comme ce
que Mendelssohn a produit de plus achevé jusqu'à ce jour1. Le poème est de
Gœthe et n'a rien de commun avec la scène du Sabbat de Faust. Il s'agit des
assemblées nocturnes que tenait sur les montagnes, aux premiers temps du
christianisme, une secte religieuse fidèle aux anciens usages, alors même que
les sacrifices sur les hauts lieux eurent été interdits. Elle avait coutume,
pendant les nuits destinées à l'œuvre sainte, de placer aux avenues de la
montagne, et en grand nombre, des sentinelles armées, couvertes de déguisements
étranges. A un signal convenu, et quand le prêtre, montant à l'autel, entonnait
l'hymne sacré, cette troupe, d'aspect diabolique, agitant d'un air terrible ses
fourches et ses flambeaux, faisait entendre toutes sortes de bruits et de cris
épouvantables, pour couvrir la voix du chœur
religieux et effrayer les profanes qui eussent été tentés d'interrompre la
cérémonie. C'est de là sans doute qu'est venu l'usage dans la langue française
d'employer le mot sabbat comme synonyme de grand bruit nocturne. Il faut
entendre la musique de Mendelssohn pour avoir une idée des ressources variées
que ce poème offrait à un habile compositeur. Il en a tiré un parti admirable.
Sa partition est d'une clarté parfaite, malgré sa complexité; les effets de voix
et d'instruments s'y croisent dans tous les sens, se contrarient, se heurtent,
avec un désordre apparent qui est le comble de l'art. Je citerai surtout, comme
des choses magnifiques en deux genres opposés, le morceau mystérieux du
placement des sentinelles. et le chœur final, où la voix du prêtre s'élève par
intervalles, calme et pieuse, au-dessus du fracas infernal de la troupe des faux
démons et des sorciers. On ne sait ce qu'il faut le plus louer dans ce finale,
ou de l'orchestre ou du chœur, ou du mouvement tourbillonnant de l'ensemble!
Au moment où Mendelssohn, plein de joie de l'avoir produit, descendait du
pupitre, je m'avançai tout ravi de l'avoir entendu. Le moment ne pouvait être
mieux choisi pour une pareille rencontre ; et pourtant, après les premiers mots
échangés, la même pensée triste nous frappa tous les deux simultanément:
« — Comment! il y a douze ans! douze ans! que nous avons rêvé ensemble dans la
plaine de Rome!
— Oui, et dans les thermes de Caracalla!
— Oh! toujours moqueur! toujours prêt à rire de moi!
— Non, non, je ne raille plus guère; c'était pour éprouver votre mémoire, et
voir si vous m'aviez pardonné mes impiétés. Je raille si peu, que, dès notre
première entrevue, je vais vous prier très-sérieusement de me faire un cadeau
auquel j'attache le plus grand prix,
— Qu'est-ce donc?
— Donnez-moi le bâton avec lequel vous venez de conduire la répétition de
votre nouvel ouvrage.
— Oh! bien volontiers, à condition que vous m'enverrez le vôtre.
— Je donnerai ainsi du cuivre pour de l'or; n'importe, j'y consens. »
1. Je ne connaissais pas encore, quand j'écrivis ces lignes,
la ravissante
partition le Songe d'une nuit d'été.
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