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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - IV. Premières leçons de musique, données par mon père. — Mes essais en composition. — Études ostéologiques. — Mon aversion pour la médecine. — Départ pour Paris. (3/4) > IV. Premières leçons de musique, données par mon père. — Mes essais en composition. — Études ostéologiques. — Mon aversion pour la médecine. — Départ pour Paris. (3/4) Mais pendant ces diverses tentatives, au milieu de mes lectures, de mes études
géographiques, de mes aspirations religieuses et des alternatives de calme et de
tempête dans mon premier amour, le moment approchait où
je devais me préparer à suivre une carrière. Mon père me destinait à la sienne,
n'en concevant pas de plus belle, et m'avait dès longtemps laissé entrevoir son
dessein.
Mes sentiments à cet égard n'étaient rien moins que favorables à ses vues, et je
les avais aussi dans l'occasion manifestés avec énergie. Sans me rendre compte
précisément de ce que j'éprouvais, je pressentais une existence passée bien loin
du chevet des malades, des hospices et des amphithéâtres. N'osant m'avouer celle
que je rêvais, ma résolution me paraissait pourtant bien prise de résister a
tout ce qu'on pourrait faire pour m'amener à la médecine. La vie de Gluck et
celle de Haydn que je lus à cette époque, dans la Biographie universelle, me
jetèrent dans la plus grande agitation. Quelle belle gloire! me disais-je, en
pensant à celle de ces deux hommes illustres ; quel bel art! quel bonheur de le
cultiver en grand! En outre, un incident fort insignifiant en apparence vint
m'impressionner encore dans le même sens et illuminer mon esprit d'une clarté
soudaine qui me fit entrevoir au loin mille horizons musicaux étranges et
grandioses.
Je n'avais jamais vu de grande partition. Les seuls morceaux de musique à moi
connus consistaient en solfèges accompagnés d'une basse chiffrée, en solos de
flûte, ou en fragments d'opéras avec accompagnement de piano. Or, un jour une
feuille de papier réglé à vingt-quatre portées me tomba sous la main. En
apercevant cette grande quantité de lignes, je compris aussitôt à quelle
multitude de combinaisons instrumentales et vocales leur emploi ingénieux
pouvait donner lieu, je et m'écriai : « Quel orchestre on doit pouvoir écrire
là-dessus! » A partir de ce moment la fermentation musicale de ma tête ne fit
que croître, et mon aversion pour la médecine redoubla. J'avais de mes parents
une trop grande crainte, toutefois, pour rien oser avouer de mes audacieuses pensées, quand mon père, à la faveur même de la musique, en vint à un coup d'État
pour détruire ce qu'il appelait mes puériles antipathies, et me faire commencer
les études médicales.
Afin de me familiariser instantanément avec les objets que je devais bientôt
avoir constamment sous les yeux, il avait étalé dans son cabinet l'énorme Traité
d'ostéologie de Munro, ouvert, et contenant des gravures de grandeur naturelle,
où les diverses parties de la charpente humaine sont reproduites très-fidèlement,
« Voilà un ouvrage, me dit-il, que tu vas avoir à étudier. Je ne pense pas que
tu persistes dans tes idées hostiles à la médecine; elles ne sont ni
raisonnables ni fondées sur quoi que ce soit. Et si, au contraire, tu veux me
promettre d'entreprendre sérieusement ton cours d'ostéologie, je ferai venir de
Lyon, pour toi, une flûte magnifique garnis de toutes les nouvelles clefs. »
Cet instrument était depuis longtemps l'objet de mon ambition. Que répondre?...
La solennité de la proposition, le respect mêlé de crainte que m'inspirait mon
père, malgré toute sa bonté, et la force de la tentation, me troublèrent au
dernier point. Je laissai échapper un oui bien faible et rentrai dans ma
chambre, où je me jetai sur mon lit accablé de chagrin.
Être médecin! étudier l'anatomie! disséquer! assister à d'horribles opérations!
au lieu de me livrer corps et âme à la musique, cet art sublime dont je
concevais déjà la grandeur! Quitter l'empirée pour les plus tristes séjours de
la terre! les anges immortels de la poésie et de l'amour et leurs chants
inspirés, pour de sales infirmiers, d'affreux garçons d'amphithéâtre, des
cadavres hideux, les cris des patients, les plaintes et le râle précurseurs de
la mort!...
Oh! non, tout cela me semblait le renversement absolu de l'ordre naturel de ma
vie, et monstrueux et impossible. Cela fut pourtant.
Les études d'ostéologie furent commencées en compagnie d'un de mes cousins (A.
Robert, aujourd'hui l'un des médecins distingués de Paris), que mon père avait
pris pour élève en même temps que moi. Malheureusement Robert jouait fort bien
du violon (il était de mes exécutants pour les quintettes) et nous nous
occupions ensemble un peu plus de musique que d'anatomie pendant les heures de
nos études. Ce qui ne l'empêchait pas, grâce au travail obstiné auquel il se
livrait chez lui en particulier, de savoir toujours beaucoup mieux que moi ses
démonstrations. De là, bien de sévères remontrances et même de terribles colères
paternelles.
Néanmoins, moitié de gré, moitié de force, je finis par apprendre tant bien que
mal de l'anatomie tout ce que mon père pouvait m'en enseigner, avec le secours
des préparations sèches (des squelettes) seulement; et j'avais dix-neuf ans
quand, encouragé par mon condisciple, je dus me décider à aborder les grandes
études médicales et à partir avec lui, dans cette intention, pour Paris.
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