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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - IV. Premières leçons de musique, données par mon père. — Mes essais en composition. — Études ostéologiques. — Mon aversion pour la médecine. — Départ pour Paris. (2/4) > IV. Premières leçons de musique, données par mon père. — Mes essais en composition. — Études ostéologiques. — Mon aversion pour la médecine. — Départ pour Paris. (2/4) Après la triste et inexplicable fin de son fils, le pauvre Imbert était retourné
à Lyon, où je crois qu'il est mort. Il eut presque immédiatement à la Côte un
successeur, beaucoup plus habile que lui, nommé Dorant. Celui-ci, Alsacien de
Colmar, jouait à peu près de tous les instruments, et excellait sur la
clarinette, la basse, le violon et la guitare. Il donna des leçons de guitare à
ma sœur aînée qui avait de la voix, mais que la nature a entièrement privée de
tout instinct musical. Elle aime la musique pourtant, sans avoir jamais pu
parvenir à la lire et à déchiffrer seulement une romance. J'assistais à ses
leçons; je voulus en prendre aussi moi-même; jusqu'à ce que Dorant en artiste
honnête et original, vint dire brusquement à mon père : « Monsieur, il m'est
impossible de continuer mes leçons de guitare à votre fils! — Pourquoi donc?
vous aurait-il manqué de quelque manière, ou se montre-t-il paresseux au point
de vous faire désespérer de lui? — Rien de tout cela, mais ce serait ridicule,
il est aussi fort que moi. »
Me voilà donc passé maître sur ces trois majestueux et incomparables
instruments, le flageolet, la flûte et la guitare! Qui oserait méconnaître, dans
ce choix judicieux l'impulsion de la nature me poussant vers les
plus immenses effets d'orchestre et la musique à la Michel-Ange! !... La flûte,
la guitare et le flageolet !!!... Je n'ai jamais possédé d'autres talents
d'exécution; mais ceux-ci me paraissent déjà fort respectables. Encore, non, je
me fais tort, je jouais aussi du tambour.
Mon père n'avait pas voulu me laisser entreprendre l'étude du piano. Sans cela
il est probable que je fusse devenu un pianiste redoutable, comme quarante mille
autres. Fort éloigné de vouloir faire de moi un artiste, il craignait sans doute
que le piano ne vînt à me passionner trop violemment et à m'entraîner dans la
musique plus loin qu'il ne le voulait. La pratique de cet instrument m'a manqué
souvent ; elle me serait utile en maintes circonstances; mais, si je considère
l'effrayante quantité de platitudes dont il facilite journellement l'émission,
platitudes honteuses et que la plupart de leurs auteurs ne pourraient pourtant
pas écrire si, privés de leur kaléidoscope musical, ils n'avaient pour cela que
leur plume et leur papier, je ne puis m'empêcher de rendre grâces au hasard qui
m'a mis dans la nécessité de parvenir à composer silencieusement et librement,
en me garantissant ainsi de la tyrannie des habitudes des doigts, si dangereuses
pour la pensée, et de la séduction qu'exerce toujours plus ou moins sur le
compositeur la sonorité des choses vulgaires. Il est vrai que les innombrables
amateurs de ces choses-là expriment à mon sujet le regret contraire ; mais j'en
suis peu touché.
Les essais de composition de mon adolescence portaient l'empreinte d'une
mélancolie profonde. Presque toutes mes mélodies étaient dans le mode mineur. Je
sentais le défaut sans pouvoir l'éviter. Un crêpe noir couvrait mes pensées ;
mon romanesque amour de Meylan les y avait enfermées. Dans cet état de mon âme,
lisant sans cesse l'Estelle de Florian, il était probable que je finirais par
mettre en musique quelques-unes des nombreuses romances contenues dans cette pastorale, dont la fadeur alors me paraissait
douce. Je n'y manquai pas.
J'en écrivis une, entre autres, extrêmement triste sur des paroles qui
exprimaient mon désespoir de quitter les bois et les lieux honorés par les pas,
éclairés par les yeux et les petits brodequins roses de ma beauté cruelle. Cette
pâle poésie me revient aujourd'hui, avec un rayon de soleil printanier, à
Londres, où je suis en proie à de graves préoccupations, à une inquiétude
mortelle, à une colère concentrée de trouver encore là comme ailleurs tant
d'obstacles ridicules... En voici la première strophe :
« Je vais donc quitter pour jamais
» Mon doux pays, ma douce amie,
» Loin d'eux
je vais traîner ma vie
» Dans les pleurs et dans les regrets!
» Fleuve dont
j'ai vu l'eau limpide,
» Pour réfléchir ses doux attraits,
» Suspendre sa course
rapide,
» Je vais vous quitter pour jamais 1. »
Quant à la mélodie de cette romance, brûlée comme le sextuor, comme les
quintettes, avant mon départ pour Paris, elle se représenta humblement à ma
pensée, lorsque j'entrepris en 1829 d'écrire ma symphonie fantastique. Elle me
sembla convenir à l'expression de cette tristesse accablante d'un jeune cœur
qu'un amour sans espoir commence à torturer, et je l'accueillis. C'est la mélodie
que chantent les premiers violons au début du largo de la première partie de cet
ouvrage, intitulé : RÊVERIES, PASSIONS ; je n'y ai rien changé.
1. La Fontaine, Les deux pigeons.
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