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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - LV. VOYAGE EN RUSSIE. Le courrier prussien. — M. Nernst. — Les traîneaux. — La neige. — Stupidité des corbeaux. — Les comtes Wielhorski. — Le général Lwoff. — Mon premier concert. — L’Impératrice. — Je fais fortune. — Voyage à Moscou. — Obstacle grotesque. — Le grand Maréchal. — Les jeunes mélomanes. — Les canons du Kremlin. (7/8) > LV. VOYAGE EN RUSSIE. Le courrier prussien. — M. Nernst. — Les traîneaux. — La neige. — Stupidité des corbeaux. — Les comtes Wielhorski. — Le général Lwoff. — Mon premier concert. — L’Impératrice. — Je fais fortune. — Voyage à Moscou. — Obstacle grotesque. — Le grand Maréchal. — Les jeunes mélomanes. — Les canons du Kremlin. (7/8)

« — Monsieur, me dit-il, j’ai une passion immense pour la musique. Je l’ai apprise tout seul, mais fort incomplètement, ainsi que vous pouvez le penser. Moscou ne m’offre pas beaucoup de ressources pour mes études, et je ne suis pas assez riche pour voyager. Mes parents ont inutilement tenté de me détourner de cette voie. Maintenant, un de nos grands seigneurs moscovites veut bien me venir en aide. Il a déclaré à mon père que si un musicien en qui l’on puisse avoir confiance me reconnaissait des dispositions réelles pour l’art musical, il se chargerait de tous les frais de mon éducation et m’enverrait la compléter en Allemagne et en France auprès des meilleurs maîtres. Je viens donc vous prier d’examiner mes essais, et de m’écrire ensuite franchement l’opinion qu’ils vous auront donnée de mes facultés. En tout cas, je vous devrai une reconnaissance éternelle. Mais, si cette opinion m’est favorable, vous me rendrez la vie; car, je me meurs, monsieur; la contrainte qu’on me fait subir me tue. Je me sens des ailes et ne puis les ouvrir. C’est un supplice que vous devez concevoir.
— Oh! certes, monsieur, je devine ce que vous souffrez, et toutes mes sympathies vous sont acquises. Disposez de moi.
— Mille remercîments. Je vous apporterai demain les ouvrages que je désire vous soumettre. »

Là-dessus, il s’éloigna les yeux enflammés et brillant d’une joie extatique.

Le lendemain il revint tout autre. Son regard était triste, éteint, et les symptômes du découragement se lisaient sur son pâle visage. 

« — Je ne vous apporte rien, me dit-il; j’ai passé la nuit à examiner mes manuscrits, aucun ne me semble digne de vous être montré, et franchement aucun non plus ne représente ce dont je suis capable. Je vais me mettre à l’œuvre pour vous offrir quelque chose de mieux! 
— Malheureusement, repris-je, il me faut retourner après-demain à Saint-Pétersbourg. 
— N’importe, je vous enverrai mon nouveau travail. Ah! monsieur, si vous saviez de quel feu j’ai l’âme brûlée!... de quelle voix l’inspiration m’appelle parfois!... Alors, je ne puis tenir dans la ville; quelque froid qu’il fasse, je sors, je vais au loin dans les bois, et là, seul, en présence de la nature, j’entends tout un monde de merveilles harmoniques se mouvoir et retentir; et les larmes me gagnent, et je pousse des cris, je tombe dans des extases qui me donnent un avant-goût du ciel... On me traite de fou... mais je ne le suis pas, croyez-le bien, je vous le prouverai. »

Je renouvelai au jeune enthousiaste l’assurance de l’intérêt qu’il m’inspirait et de mon désir de lui être utile. Mon Dieu, me disais-je après l’avoir quitté, ne voilà-t-il pas des symptômes d’une organisation exceptionnelle ?... C’est peut-être un homme de génie!... Ce serait un crime de ne pas l’aider; certes, je me dévouerai à lui corps et âme s’il le faut; qu’il me donne seulement le moindre point d’appui.

Hélas! j’attendis en vain plusieurs semaines à Saint-Pétersbourg, et il ne me parvint enfin qu’une lettre dans laquelle le jeune Russe s’excusait de nouveau de ne point m’envoyer de musique. Mais à son grand désespoir, écrivait-il, et malgré tous ses efforts, l’inspiration lui avait fait complètement défaut.

Qu’est-ce que cette froide et modeste appréciation de ses propres œuvres ?... Cette impuissance avouée d’un homme qui se croit d’ailleurs inspiré et puissant ? Quel est l’idéal qu’il cherche à atteindre ? Qu’a-t-il déjà fait pour en approcher ? Qu’y a-t-il enfin dans cette âme troublée ?... Dieu le sait. Mais aussi qu’y a-t-il de commun entre ces aspirations ardentes vers la musique, plus ou moins bien justifiées, et expliquées par le temps, et le calcul mesquin et la prosaïque ambition qui poussent tant de jeunes gens dans les classes des conservatoires pour y embrasser la profession musicale, comme on apprend le métier du tailleur ou du bottier ?... Les mélomanes au moins, si voisins qu’ils soient de la folie, ne nuisent à personne, et leur manie, quand elle n’est pas risible, est touchante et poétique; tandis que les artisans-musiciens font un tort essentiel à l’art et aux artistes, donnent lieu à de longues et fâcheuses erreurs, et, par leur nombre autant que par le peu d’élévation de leurs instincts, peuvent corrompre le goût de toute une nation. Le peuple le plus musical n’est pas celui chez qui l’on compte le plus de musiciens médiocres, mais bien celui qui a vu naître le plus de grands maîtres et dont le sentiment de la beauté musicale est le plus développé.

Malgré tout ce que la ville à demi asiatique de Moscou offre de curieux et d’intéressant sous le rapport architectural, je l’ai peu étudiée pendant les trois semaines que j’y ai passées. Les préparatifs de mon concert m’absorbaient complètement. Grâce au dégel qui sévissait alors dans toute sa douceur, elle était d’ailleurs peu visitable. Les rues n’offraient que des cloaques d’eau et de neige fondante, d’où les traîneaux avaient peine à se tirer. Je n’ai même vu le Kremlin qu’à l’extérieur. Je me suis borné à compter les grains du collier de canons qui l’entoure... tristes trophées recueillis sur la trace de notre armée mourante... Il y en a de toutes sortes, de tous calibres, et de toutes les nations. Des inscriptions en langue française (atroce ironie!) désignent même ceux de nos régiments ou ceux des alliés de la France auxquels ont appartenu les pièces de cette funèbre collection. L’une de ces pièces a reçu une singulière blessure; elle porte sur la lèvre l’empreinte d’un boulet russe, qui, après l’avoir frappée à la gueule, est entré dans le tube, en en labourant l’intérieur. Si la pièce était chargée au moment de l’accident, je laisse à penser l’étonnement de la gargousse qu’elle contenait, en recevant un si rude coup de refouloir... elle a dû croire, l’orgueilleuse, que, reprenant son ancien métier d’artilleur, l’empereur Napoléon en personne chargeait.

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