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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - LV. VOYAGE EN RUSSIE. Le courrier prussien. — M. Nernst. — Les traîneaux. — La neige. — Stupidité des corbeaux. — Les comtes Wielhorski. — Le général Lwoff. — Mon premier concert. — L’Impératrice. — Je fais fortune. — Voyage à Moscou. — Obstacle grotesque. — Le grand Maréchal. — Les jeunes mélomanes. — Les canons du Kremlin. (8/8) > LV. VOYAGE EN RUSSIE. Le courrier prussien. — M. Nernst. — Les traîneaux. — La neige. — Stupidité des corbeaux. — Les comtes Wielhorski. — Le général Lwoff. — Mon premier concert. — L’Impératrice. — Je fais fortune. — Voyage à Moscou. — Obstacle grotesque. — Le grand Maréchal. — Les jeunes mélomanes. — Les canons du Kremlin. (8/8)

J’ai entendu à Moscou une représentation de l’opéra de Glinka : La vie pour le Czar.

L’immense théâtre était vide (est-il jamais plein ?... j’en doute) et la scène représentait presque constamment des bois de sapins pleins de neige, des steppes couvertes de neige, des hommes blancs de neige. Je grelotte encore en y pensant. Il y a de fort élégantes et de fort originales mélodies dans cet ouvrage, mais je dus presque les deviner, tant l’exécution en était imparfaite. Au reste, il paraît que les études se font d’une étrange manière dans ce théâtre, malgré le zèle et le savoir musical de son directeur, M. Verstowski. Je m’en aperçus quand il fut question de répéter les chœurs des deux premiers actes de Faust qui figuraient dans mon programme.

M’étant rendu dans un salon, où se faisaient d’ordinaire les études chorales, j’y trouvai une soixantaine d’hommes et de femmes groupés debout en silence, mais sans maître de chant, sans accompagnateur, et même sans piano.

« — Eh bien, où est le piano, dis-je, où est le pianiste ?
— On ne s’en sert pas ici pour apprendre les chœurs, me répondit-on. On étudie sans accompagnement, à volonté. 
— Diable! quels musiciens! vos choristes sont donc les premiers lecteurs du monde ? 
— Oh! non! certes, mais c’est l’usage, et on fait comme on peut. 
— Ah çà! c’est une plaisanterie!... Veuillez faire apporter un piano, j’y tiens; on me passera cette exigence, je suis étranger. Nous trouverons bien ensuite un accompagnateur; au besoin, je saurai même frapper quelques accords pour guider et soutenir les voix, et ce sera toujours mieux que rien. » Au grand étonnement des choristes, le piano arriva. M. Genista, excellent professeur allemand qui, par hasard se trouvait là, ayant bien voulu accepter la tâche d’accompagnateur, nous parvînmes à déchiffrer les chœurs de Faust, qui, au bout de quelques séances semblables, furent appris tant bien que mal. Ma foi, s’il est vrai que ces choristes parviennent ainsi seuls, à force de tâtonnements, d’ânonnements, de temps et de résignation, à savoir des opéras entiers, il faut supposer les Russes doués de facultés particulières, dont les autres peuples ne soupçonnent pas l’existence. Ils chantèrent encore en allemand, comme avaient fait leurs confrères de Saint-Pétersbourg. Mais les soli de Faust et de Méphistophélès dont MM. Leonoff et Slavik (deux chanteurs russes) avaient eu la bonté de se charger, furent chantés l’un et l’autre en français... du nord. C’était un progrès, les deux héros du drame dialoguaient au moins dans le même idiome. M. Grassi, violoniste sarde établi en Russie, me fut, ainsi que M. Marcou dont j’ai parlé, d’un grand secours pour l’organisation de ce concert, et Max Bohrer, le célèbre violoncelliste, arrivé à Moscou en même temps que moi, s’offrit cordialement à jouer dans mon orchestre. Gracieuseté précieuse, vu le petit nombre de violoncellistes dont je disposais, et la valeur d’un pareil exécutant; simplicité d’artiste dont les virtuoses n’ont garde en général de se rendre coupables en pareil cas.

J’eus maille à partir avec la censure, à propos du programme de mon concert et de ce couplet de la chanson latine des étudiants dans Faust :

« Nobis subridente lunâ, per urbem quærentes puellas eamus, ut cras fortunati Cæsares dicamus : Veni, vidi, vici. »

(Pendant que la lune nous sourit, allons par la ville, cherchant les jeunes filles, pour que demain, heureux Césars, nous disions : Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu1)

M. le censeur déclara ne pouvoir autoriser l’impression d’une chanson aussi scandaleuse. J’eus beau lui dire que le livret entier de Faust avait été censuré à Saint-Pétersbourg et lui en présenter un exemplaire revêtu de l’approbation officielle, il me répondit avec humeur : « M. le censeur de Saint-Pétersbourg fait ce qui lui convient, et je ne suis pas tenu de l’imiter. Le passage en question est immoral, il doit être supprimé. » Et il le fut... dans le livret. Je n’allais pas, on peut le croire, couper un membre à ma partition pour faire œuvre pudibonde, c’eût été là une vraie immoralité. On chanta donc néanmoins au concert le couplet prohibé, mais de telle sorte que personne ne le comprit.

Et voilà pourquoi la population de Moscou est demeurée la plus morale de l’univers, et comment la nuit, malgré tous les sourires de la lune, les étudiants ne courent pas la ville, cherchant les jeunes filles... en hiver.

Il y a à Moscou plusieurs amateurs de musique distingués et des professeurs d’un remarquable talent; parmi lesquels, à côté de ceux que j’ai déjà nommés, je citerai M. Graziani, fils aîné de l’un des meilleurs acteurs de notre ancien Opéra italien de Paris.

Dans une magnifique institution de jeunes demoiselles, placées directement sous le patronage de l’Impératrice, les élèves reçoivent comme complément de leur éducation, une instruction musicale solide et même un peu grave. Trois des meilleures pianistes m’y firent entendre un vieux triple concerto en ré mineur pour le clavecin, de *** , ce qui est fort grave, on en conviendra. Et pourtant leur maître, M. Reinhardt, est un homme aimable, spirituel et bon musicien. Je suis même persuadé qu’en faisant exécuter ce morceau par ses élèves, il n’avait pas l’intention de m’être désagréable.

Il y avait aussi à Moscou, à cette époque, un charmant petit prodige, le fils de Mme la princesse Olga Dolgorouki, âgé de dix ans, qui m’effraya par la passion intelligente avec laquelle il chantait des scènes dramatiques des grands maîtres et des romances de sa composition.

Comblé des politesses de plusieurs familles moscovites et d’une famille française établie à Moscou, je dus, aussitôt après le concert, repartir pour la capitale de l’empire. J’y étais attendu pour diriger les études de ma symphonie de Roméo et Juliette que M. Guédéonoff m’avait promis de faire splendidement exécuter au grand théâtre.

1. En 1854 un critique de Dresde a protesté solennellement contre cette chanson, assurant que les étudiants allemands étaient des jeunes gens de bonnes mœurs, incapables de courir les grisettes au clair de lune. Ce même homme naïf, dans le même article, ne m’accusait-il pas de calomnier Méphistophélès, en le faisant tromper Faust. « Le Méphistophélès allemand, disait-il, est honnête et il remplit les clauses du traité qu’il a fait signer à Faust; tandis que dans l’ouvrage de M. Berlioz, il conduit Faust à l’abîme en lui faisant croire qu’il le mène à la prison de Marguerite. C’est une indignité!... » N’est-ce pas, que c’est indigne... de ma part ?... ainsi me voilà convaincu d’avoir calomnié l’esprit du mal et du mensonge, d’être pire qu’un démon, de ne pas valoir le diable.
Cette charmante critique a fait la joie de la ville de Dresde pendant longtemps, et je crois qu’on en rit encore à l’heure qu’il est.

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