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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - LIV. Concert à Breslau. — Ma légende de la Damnation de Faust. — Le livret. — Les critiques patriotes allemands. — Exécution de la Damnation de Faust, à Paris. — Je me décide à partir pour la Russie. — Bonté de mes amis. (2/3) > LIV. Concert à Breslau. — Ma légende de la Damnation de Faust. — Le livret. — Les critiques patriotes allemands. — Exécution de la Damnation de Faust, à Paris. — Je me décide à partir pour la Russie. — Bonté de mes amis. (2/3) Une fois lancé, je fis les vers qui me manquaient au fur
et à mesure que me venaient les idées musicales, et je composai ma partition
avec une facilité que j’ai bien rarement éprouvée pour mes autres ouvrages. Je
l’écrivais quand je pouvais et où je pouvais; en voiture, en chemin de fer, sur
les bateaux à vapeur, et même dans les villes, malgré les soins divers auxquels
m’obligeaient les concerts que j’avais à y donner. Ainsi dans une auberge de
Passau, sur les frontières de la Bavière, j’ai écrit l’introduction :
« Le vieil hiver a fait place au
printemps. »
à Vienne, j’ai fait la scène des bords de l’Elbe, l’air de Méphistophélès :
« Voici des roses »
et le ballet des Sylphes.
J’ai dit à
quelle occasion et comment je fis en une nuit, à Vienne également, la marche sur
le thème hongrois de Rákóczy. L’effet extraordinaire qu’elle produisit à Pesth
m’engagea à l’introduire dans ma partition de Faust, en prenant la
liberté de placer mon héros en Hongrie au début de l’action, et en le faisant
assister au passage d’une armée hongroise à travers la plaine où il promène ses
rêveries. Un critique allemand a trouvé fort étrange que j’aie fait voyager
Faust en pareil lieu. Je ne vois pas pourquoi je m’en serais abstenu, et je
n’eusse pas hésité le moins du monde à le conduire partout ailleurs, s’il en fût
résulté quelque avantage pour ma partition. Je ne m’étais pas astreint à suivre
le plan de Gœthe, et les voyages les plus excentriques peuvent être attribués à
un personnage tel que Faust, sans que la vraisemblance en soit en rien choquée.
D’autres critiques allemands ayant plus tard repris cette singulière thèse et
m’attaquant avec plus de violence au sujet des modifications apportées dans mon
livret au texte et au plan du Faust de Gœthe (comme s’il n’y avait pas
d’autres Faust que celui de Gœthe1
et comme si on pouvait d’ailleurs mettre en musique un tel poëme tout entier, et
sans en déranger l’ordonnance) j’eus la bêtise de leur répondre dans
l’avant-propos de la Damnation de Faust. Je me suis souvent demandé
pourquoi ces mêmes critiques ne m’ont adressé aucun reproche pour le livret de
ma symphonie de Roméo et Juliette, peu semblable à l’immortelle tragédie!
C’est sans doute parce que Shakespeare n’est pas Allemand. Patriotisme!
Fétichisme! Crétinisme!
À Pesth, à la lueur du bec de gaz d’une boutique, un
soir que je m’étais égaré dans la ville, j’ai écrit le refrain en chœur de la
Ronde des paysans.
À Prague, je me levai au milieu de la nuit pour écrire
un chant que je tremblais d’oublier, le chœur d’anges de l’apothéose de
Marguerite
« Remonte au ciel, âme naïve » Que l’amour égara. »
À Breslau, j’ai fait les paroles et la musique de la
chanson latine des étudiants.
« Jam nox stellata velamina
pandit. »
De retour en France, étant allé passer quelques jours
près de Rouen à la campagne de M. le baron de Montville, j’y composai le grand
trio :
« Ange adoré dont la céleste
image. »
Le reste a été écrit à Paris, mais toujours à
l’improviste, chez moi, au café, au jardin des Tuileries, et jusque sur une
borne du boulevard du Temple. Je ne cherchais pas les idées, je les laissais
venir, et elles se présentaient dans l’ordre le plus imprévu. Quand enfin
l’esquisse entière de la partition fut tracée, je me mis à retravailler le tout,
à en polir les diverses parties, à les unir, à les fondre ensemble avec tout
l’acharnement et toute la patience dont je suis capable, et à terminer
l’instrumentation qui n’était qu’indiquée çà et là. Je regarde cet ouvrage comme
l’un des meilleurs que j’aie produits; le public jusqu’à présent paraît être de
cet avis.
1. Celui de Marlowe par exemple, et l’opéra de
Spohr, qui, ni l’un ni l’autre, ne ressemblent au Faust de Gœthe.
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