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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M. Humbert Ferrand. Troisième lettre. Pesth. (4/5) > A M. Humbert Ferrand. Troisième lettre. Pesth. (4/5)

Le jour du concert, néanmoins, une certaine anxiété me serrait la gorge quand vint le moment de produire ce diable de morceau. Après une sonnerie de trompettes dessinée sur le rhythme des premières mesures de la mélodie, le thème paraît, vous vous en souvenez, exécuté piano par les flûtes et les clarinettes, et accompagné par un pizzicato des instruments à cordes. Le public resta calme et silencieux à cette exposition inattendue; mais quand, sur un long crescendo, des fragments fugués du thème reparurent, entrecoupés de notes sourdes de grosse caisse simulant des coups de canon lointains, la salle commença à fermenter avec un bruit indescriptible; et, au moment où l’orchestre déchaîné dans une mêlée furieuse, lança son fortissimo si longtemps contenu, des cris, des trépignements inouïs ébranlèrent la salle; la fureur concentrée de toutes ces âmes bouillonnantes fit explosion avec des accents qui me donnèrent le frisson de la terreur; il me sembla sentir mes cheveux se hérisser, et à partir de cette fatale mesure je dus dire adieu à la péroraison de mon morceau, la tempête de l’orchestre étant incapable de lutter avec l’éruption de ce volcan dont rien ne pouvait arrêter les violences. Il fallut recommencer, cela se devine; et la seconde fois ce fut à grand-peine que le public put se contenir deux ou trois secondes de plus qu’à la première, pour entendre quelques mesures de la coda. M. Horvath se démenait dans sa loge comme un possédé; je ne pus m’empêcher de rire en lui jetant un regard qui signifiait : « Eh bien! avez-vous encore peur ? Êtes-vous content de votre forte ? » Bien me prit d’avoir placé à la fin du concert la Rákôczy-indulo (c’est le titre du morceau en langue hongroise), car tout ce qu’on aurait voulu faire entendre ensuite eût été perdu.

J’étais violemment agité, on peut le croire, après un ouragan de cette nature, et je m’essuyais le visage dans un petit salon derrière le théâtre, quand je reçus un singulier contre-coup de l’émotion de la salle. Voici comment : je vois entrer à l’improviste dans mon réduit un homme misérablement vêtu, et le visage animé d’une façon étrange. En m’apercevant, il se jette sur moi, m’embrasse avec fureur, ses yeux se remplissent de larmes, c’est à peine s’il peut balbutier ces mots :

« — Ah! monsieur, monsieur! moi Hongrois... pauvre diable... pas parler français... un poco l’italiano... Pardonnez... mon extase... Ah! ai compris votre canon... Oui, oui... la grande bataille... Allemands chiens! » Et se frappant la poitrine à grands coups de poing : « Dans le cœur moi... je vous porte... Ah! Français... révolutionnaire... savoir faire la musique des révolutions. »

Je n’essayerai pas de dépeindre la terrible exaltation de cet homme, ses pleurs, ses grincements de dents; c’était presque effrayant, c’était sublime! 

Vous pensez bien, mon cher Humbert, que la Rákôczy-indulo, après cela, fut de tous les programmes et toujours avec le même résultat. Je dus même, en partant, laisser à la ville de Pesth mon manuscrit qu’on désira garder, et dont je reçus une copie à Breslau un mois après. On l’exécute maintenant en Hongrie dans les grandes occasions. Mais je dois avertir ici le maître de chapelle, M. Erkel, que j’ai fait depuis ce temps plusieurs changements dans l’instrumentation de ce morceau, en ajoutant à la coda une trentaine de mesures qui, ce me semble, en augmentent l’effet. Je m’empresserai de lui adresser la partition, revue, corrigée et augmentée, dès que mon éditeur me le permettra1. M. Erkel est un excellent et digne homme d’un grand talent : j’ai entendu, pendant mon séjour à Pesth, et sous son habile direction, un opéra de lui, intitulé Hunyady, dont le sujet est tiré des annales héroïques de la Hongrie. Il y a dans cette œuvre une foule de choses remarquables par leur originalité et surtout par la profondeur du sentiment qui les a dictées. C’est d’ailleurs purement écrit et instrumenté d’une façon très-intelligente et très-fine; ce qui ne veut pas dire, loin de là, que cette instrumentation manque d’énergie. Mme Schodel, véritable tragédienne lyrique de l’école de Mme Branchu (école perdue dont je ne m’attendais pas à trouver un rejeton en Hongrie), joua et chanta d’une belle manière le rôle principal. Je dois encore signaler dans la troupe hongroise un ténor très-méritant, nommé Feredy. Il dit surtout à merveille, en les accentuant d’une façon charmante dans son étrangeté, les romances et les chansons nationales si chères aux Hongrois, mais qui, ainsi chantées, plairaient certes à tous les peuples. Le concert-meister est un violoniste de beaucoup de talent, nommé Kohne, qui séjourna longtemps à Paris et sort même, si je ne me trompe, des classes de notre Conservatoire. Pour le chœur du théâtre national de Pesth, il est très-faible, tant par le nombre que par la nature et le peu d’exercice des voix. La langue hongroise n’est point défavorable à la musique, elle est même, à mon sens, beaucoup moins dure que l’allemand. Voilà une vraie langue! que personne ne comprend... sans l’avoir apprise. Il ne faut pas chercher les analogies entre le hongrois et aucune autre langue connue, on ne les trouverait pas. Certains termes de musique même, venus de l’italien, et conservés à peu près intégralement dans tous les idiomes de l’Europe, sont remplacés en hongrois par des termes spéciaux, composés ou simples, mais entièrement différents. Tel est le mot concert qu’on retrouve à peu près toujours le même en italien, en espagnol, en français, en allemand, en anglais, en russe. Devinez ce qu’il devient sur les affiches hongroises, hangverseny, ni plus, ni moins. Ce mot étrange signifie littéralement concours de sons.

1. (6 mars 1861.) Je viens d’envoyer en Hongrie cette partition. Une société de jeunes Hongrois m’a adressé il y a quelques semaines une couronne d’argent d’un travail exquis, portant, sur un écusson aux armes de la ville de Gior (en allemand Raab) ces mots : À Hector Berlioz la jeunesse de Gior. Ce présent était accompagné d’une lettre à laquelle j’ai répondu :

 « Messieurs.

 » J’ai reçu votre beau présent et la lettre flatteuse qui l’accompagnait. Ce témoignage de sympathie, venu d’un pays dont j’ai conservé un si cher souvenir, m’a vivement touché. L’effet de mon ouvrage est dû sans doute aux sentiments que réveille votre thème national en vous, qu’il doit conduire à la vie (selon votre poétique expression), en vous de qui l’on peut dire avec Virgile :

 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  Furor iraque mentes
Praecipitant, pulchrumque mori succurrit in armis.

» Mais si vous avez trouvé dans ma musique une étincelle seulement de l’enthousiasme qui brûle les nobles âmes hongroises, je dois m’estimer trop heureux et considérer ce succès comme l’un des plus rares qu’un artiste puisse obtenir.

» Recevez, messieurs, avec l’expression de ma gratitude, mes cordiales salutations.

» Votre tout dévoué

» HECTOR BERLIOZ.

» 14 février 1861. »

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