Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz
MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - LIII. Je suis forcé d’écrire des feuilletons. — Mon désespoir. — Velléités de suicide. — Festival de l’Industrie. — 1022 exécutants. — 32,000 francs de recette. — 800 francs de bénéfice. — M. Delessert préfet de police. — Établissement de la censure des programmes de concert. — Les percepteurs du droit des hospices. — Le docteur Amussat. — Je vais à Nice. — Concerts dans le cirque des Champs-Élysées. (8/9) > LIII. Je suis forcé d’écrire des feuilletons. — Mon désespoir. — Velléités de suicide. — Festival de l’Industrie. — 1022 exécutants. — 32,000 francs de recette. — 800 francs de bénéfice. — M. Delessert préfet de police. — Établissement de la censure des programmes de concert. — Les percepteurs du droit des hospices. — Le docteur Amussat. — Je vais à Nice. — Concerts dans le cirque des Champs-Élysées. (8/9) Je venais de terminer cette folle entreprise, que je me
garderais de tenter aujourd’hui, quand mon ancien maître d’anatomie, mon
excellent ami, le docteur Amussat vint me voir. Il recula d’un pas en
m’apercevant.
« — Ah çà! qu’avez-vous, Berlioz ? vous êtes jaune comme un
vieux parchemin, tous vos traits portent l’expression d’une fatigue et
d’une irritation extraordinaires.
— Vous parlez d’irritation, lui dis-je; quel sujet aurais-je donc d’être
irrité ? Vous avez assisté au festival, vous savez comment tout s’y est passé;
j’ai eu le plaisir de payer quatre mille francs à MM. les percepteurs du droit
des hospices, il m’est resté huit cents francs; de quoi me plaindrais-je ? Tout
n’est-il pas dans l’ordre ?
(Amussat me tâtant le pouls): :
« — Mon cher, vous allez avoir une fièvre typhoïde. Il
faudrait vous saigner.
— Eh bien, n’attendons pas à demain, saignez-moi! »
Je quitte aussitôt mon habit, Amussat me saigne largement et
me dit :
« — Maintenant, faites-moi le plaisir de quitter Paris au
plus vite. Allez à Hyères, à Cannes, à Nice, où vous voudrez, mais allez dans le
Midi respirer l’air de la mer, et ne pensez plus à toutes ces choses qui vous
enflamment le sang et exaltent votre système nerveux déjà si irritable. Adieu,
il n’y a pas à hésiter. »
Je suivis son conseil; j’allai passer un mois à Nice, grâce
aux huit cents francs que le festival m’avait rapportés, et pour réparer
autant que possible le mal qu’il avait fait à ma santé.
Je ne revis pas sans émotion les lieux où je m’étais trouvé
treize ans auparavant, lors d’une autre convalescence, au début de mon voyage
d’Italie... Je nageai beaucoup dans la mer; je fis de nombreuses excursions aux
environs de Nice, à Villefranche, à Beaulieu, à Cimiez, au Phare. Je recommençai
mes explorations des rochers de la côte, où je retrouvai, toujours dormant au
soleil, de vieux canons de ma connaissance; je revis des anses fraîches et
riantes, tapissées d’algues marines, où je me baignais autrefois. La chambre où
j’avais, en 1831, écrit l’ouverture du Roi Lear, étant occupée par une
famille anglaise, j’étais allé me nicher dans une tour appliquée contre le
rocher des Ponchettes, au-dessus de la maison.
J’y jouis avec délices d’une vue admirable sur la
Méditerranée et d’un calme dont je sentais plus que jamais le prix. Puis, guéri
tant bien que mal de ma jaunisse, et à bout de mes huit cents francs, je quittai
cette ravissante côte de Sardaigne qui a toujours pour moi un si puissant
attrait, et je revins à Paris reprendre mon rôle de Sysiphe.
Quelques mois après ce voyage de Nice, le directeur du
théâtre Franconi, séduit par le chiffre extraordinaire auquel s’était élevée la
recette du Festival de l’Industrie, me proposa de donner une série de grandes
exécutions musicales dans son cirque des Champs-Élysées.
|