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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - LIII. Je suis forcé d’écrire des feuilletons. — Mon désespoir. — Velléités de suicide. — Festival de l’Industrie. — 1022 exécutants. — 32,000 francs de recette. — 800 francs de bénéfice. — M. Delessert préfet de police. — Établissement de la censure des programmes de concert. — Les percepteurs du droit des hospices. — Le docteur Amussat. — Je vais à Nice. — Concerts dans le cirque des Champs-Élysées. (3/9) > LIII. Je suis forcé d’écrire des feuilletons. — Mon désespoir. — Velléités de suicide. — Festival de l’Industrie. — 1022 exécutants. — 32,000 francs de recette. — 800 francs de bénéfice. — M. Delessert préfet de police. — Établissement de la censure des programmes de concert. — Les percepteurs du droit des hospices. — Le docteur Amussat. — Je vais à Nice. — Concerts dans le cirque des Champs-Élysées. (3/9) C’était nous ôter le bénéfice certain de l’entreprise. M.
Delessert redoutait pourtant encore le danger que nos orchestres, nos chœurs et
les amateurs qui, pour les entendre, allaient se porter au centre des
Champs-Élysées, en plein jour, pouvaient faire courir à l’État. Savait-on même
si Strauss et moi nous n’étions pas des conspirateurs déguisés en musiciens!...
Néanmoins je me tenais pour satisfait de pouvoir organiser et diriger un concert
gigantesque, et je bornais mes vœux à réussir musicalement dans l’entreprise,
sans y perdre tout ce que je possédais.
Mon plan fut bientôt tracé. Laissant Strauss s’occuper de son
orchestre de danse destiné à ne pas faire danser, j’engageai pour le grand
concert à peu près tout ce qui, dans Paris, avait quelque valeur comme choriste
et comme instrumentiste, et je parvins à réunir un personnel de mille vingt-deux
exécutants. Tous étaient payés, à l’exception des chanteurs (non choristes) de
nos théâtres lyriques. J’avais fait un appel à ceux-ci dans une lettre où je les
priais de se joindre à mes masses chantantes pour les guider de l’âme et de
la voix.
Duprez, Mme Stoltz et Chollet furent les seuls qui
s’y refusèrent; mais leur absence fut remarquée le jour du concert et hautement
blâmée par la presse le lendemain. Presque tous les membres de la Société des
concerts du Conservatoire crurent également devoir s’abstenir, et bouder encore
une fois avec leur vieux général. Habeneck, tout naturellement, voyait du
plus mauvais œil cette grande solennité qu’il ne dirigeait pas...
Pour ne pas être forcé d’élever les frais jusqu’à une somme
exorbitante, je ne demandai aux artistes que deux répétitions dont l’une devait
être partielle et l’autre générale. Je fis ainsi répéter d’abord successivement,
dans la salle de Herz que nous avions louée pour cela :
Les violons,
Les altos et violoncelles,
Les contre-basses,
Les instruments à vent en bois,
Les instruments à vent en cuivre,
Les harpes,
Les instruments à percussion,
Les femmes et les enfants du chœur,
Les hommes du chœur.
Ces neuf répétitions auxquelles chaque individu ne prit part
qu’une fois, produisirent des résultats merveilleux, et qu’on n’eût certainement
pas obtenus avec cinq répétitions d’ensemble. Celle des trente-six contre-basses
surtout, fut curieuse. Quand nous en vînmes au trait du scherzo de la
symphonie en ut mineur de Beethoven, qui figurait dans le programme, il
nous sembla entendre les grognements d’une cinquantaine de porcs effarouchés :
telle était l’incohérence et le defaut de justesse de l’exécution de ce passage.
Peu à peu cependant elle devint meilleure, l’ensemble s’établit et la phrase
apparut nettement dans toute sa sauvage rudesse.
« D’abord on s’y prit mal, puis un peu mieux, puis
bien,
» Puis enfin il n’y manqua rien. »
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