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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - LIII. Je suis forcé d’écrire des feuilletons. — Mon désespoir. — Velléités de suicide. — Festival de l’Industrie. — 1022 exécutants. — 32,000 francs de recette. — 800 francs de bénéfice. — M. Delessert préfet de police. — Établissement de la censure des programmes de concert. — Les percepteurs du droit des hospices. — Le docteur Amussat. — Je vais à Nice. — Concerts dans le cirque des Champs-Élysées. (4/9) > LIII. Je suis forcé d’écrire des feuilletons. — Mon désespoir. — Velléités de suicide. — Festival de l’Industrie. — 1022 exécutants. — 32,000 francs de recette. — 800 francs de bénéfice. — M. Delessert préfet de police. — Établissement de la censure des programmes de concert. — Les percepteurs du droit des hospices. — Le docteur Amussat. — Je vais à Nice. — Concerts dans le cirque des Champs-Élysées. (4/9) Nous l’avions recommencée dix-huit ou vingt fois, ce qu’on
n’eût pas pu faire si l’orchestre entier eût été présent. Voilà l’avantage des
répétitions partielles. On passe alors rapidement sur les portions du programme
qui, pour le fragment du chœur ou de l’orchestre dont on s’occupe, ne présentent
aucune difficulté, et l’on donne au contraire tout le temps et toute l’attention
nécessaires à l’étude des passages embarrassants et malaisés. Il en résulte
seulement une fatigue excessive pour le chef d’orchestre. Mais, je crois l’avoir
dit, en pareil cas je trouve des forces exceptionnelles, et ma vigueur défie
celle d’un cheval de labour.
J’avais, on le pense bien, composé mon programme de manière
qu’il ne contînt que des morceaux d’un style très-large ou déjà connus des
exécutants. C’étaient :
L’ouverture de la Vestale (Spontini),
La prière de la Muette (Auber),
Le scherzo et le finale de la Symphonie en ut mineur (Beethoven),
La prière de Moïse (Rossini),
L’Hymne à la France, que j’avais composé exprès pour la circonstance.
L’ouverture du Freyschütz (Weber),
L’hymne à Bacchus d’Antigone (Mendelssohn),
La marche au supplice de ma Symphonie fantastique,
Le chant des Industriels, écrit aussi pour cette fête par M. Adolphe
Dumas et mis en musique par M. Méraux.
Un chœur de Charles VI (Halévy),
Le chœur de la bénédiction des poignards, des Huguenots (Meyerbeer),
La scène du jardin des plaisirs d’Armide (Gluck),
L’apothéose de ma Symphonie funèbre et triomphale.
Nous devions faire la répétition générale dans le bâtiment de
l’exposition, dont j’avais choisi pour le concert, le grand carré central nommé
salle des machines. La veille même de cette importante épreuve, pendant que les
charpentiers travaillaient à la construction de mon estrade, la salle n’était
pas encore libre. Un grand nombre de machines en fer encombraient l’emplacement
destiné au public. On n’avait pas même pris les mesures nécessaires à
l’enlèvement de ce monstrueux attirail.
Je n’essayerai pas de décrire mon anxiété à cet aspect.
Les murs de Paris étaient couverts d’affiches annonçant le
festival; j’étais engagé pour une somme considérable, et je me voyais arrêté
dans mon entreprise par l’obstacle le plus insurmontable et le plus imprévu!
Nous ne pouvions retarder le concert d’un seul jour, l’ordre de démolir
l’édifice, au plus tard le 5 août, était déjà donné, et les propriétaires des
matériaux entrant dans sa construction ayant le droit de commencer sa démolition
le 1er août, jour du premier concert, ne consentaient qu’à force
d’argent à le laisser subsister quelques heures de plus. Ils étaient les vrais
maîtres du local et nous prouvaient d’une façon péremptoire que le ministre du
Commerce nous avait prêté ce qui ne lui appartenait plus. J’eus un instant de
vertige et je m’élançai à la course pour aller faire placarder une affiche
contremandant le festival. Strauss m’arrêta presque de force, en m’assurant que
le lendemain cinquante voitures viendraient enfin déblayer le terrain. Comme je
me voyais perdu de toutes manières, je laissai les choses suivre leurs cours. Le
lendemain, mes mille artistes se rendirent à la répétition générale, qui se fit
au milieu des cris des charretiers, des claquements de leurs fouets et des
hennissements de leurs chevaux. Mais enfin, les charretiers y étaient, les
chevaux peu à peu emportaient les machines, le terrain devenait libre et je
sentais l’oppression de ma poitrine diminuer. Après la répétition, autre
cauchemar. Les auditeurs nombreux qui y avaient assisté s’approchent de moi
déclarant, à l’unanimité, que l’estrade est à refaire et que, par suite de la
position du chœur placé au-devant de l’orchestre, il est impossible
d’entendre un son des instruments. Se figure-t-on un orchestre de cinq cents
instrumentistes qu’on n’entend pas! Aussitôt soixante ouvriers se mettent
à l’œuvre et coupant en deux l’estrade, dont le plan n’était pas de moitié assez
incliné, baissent de trois mètres la partie antérieure réservée au chœur, et
démasquent ainsi l’orchestre dont ils élèvent encore, d’ailleurs, les derniers
gradins. Cette nouvelle disposition devait nécessairement permettre d’entendre
les instruments, malgré le peu de sonorité du local, défaut irrémédiable et
qu’on ne pouvait plus méconnaître. Dès que ce deuxième sujet d’inquiétudes eut à
peu près disparu, un troisième non moins grave se présenta. Strauss et moi
profitant de quelques heures de répit qui nous étaient laissées au milieu de
tant de tracas, nous courûmes en cabriolet chez les divers marchands de musique,
dépositaires des billets du concert, pour connaître l’état de la vente qu’ils en
avaient dû faire. Après l’addition, nous reconnûmes avec effroi que la somme de
12,000 francs, qui en était le produit, ne couvrait pas la moitié des frais
généraux. Nous devions maintenant compter sur une recette extraordinaire pour le
lendemain, à la porte de la salle, ou nous préparer, si elle manquait, à payer
le déficit.
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