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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M. Habeneck, huitième lettre, Berlin. (5/6) > A M. Habeneck, huitième lettre, Berlin. (5/6) Quelle heureuse soirée me fit passer cette représentation d'Armide, dirigée par
Meyerbeer! L'orchestre et les chœurs, inspirés à la fois par deux maîtres
illustres, l'auteur et le directeur, se montrèrent dignes de l'un et de l'autre.
Le fameux finale: Poursuivons jusqu'au trépas, produisit une véritable
explosion. L'acte de la haine, avec les admirables pantomimes composées, si je
ne me trompe, par Paul Taglioni, maître des ballets du grand théâtre de Berlin,
ne me parut pas moins remarquable par une verve, en apparence désordonnée, mais
dont tous les élans cependant étaient pleins d'une infernale harmonie. On avait
supprimé l'air de danse à 6/8 en la majeur que nous exécutons ici, et rétabli en
revanche, la grande chaconne en si bémol, qu'on n'entend jamais à Paris. Ce
morceau très-développé a beaucoup d'éclat et de chaleur. Quelle conception que
cet acte de la haine!Je ne l'avais jamais à ce point compris et admiré. J'ai frissonné à ce passage
de l'évocation :
« Sauvez-moi de l'amour,
» Rien n'est si redoutable! »
Au premier hémistiche, les deux hautbois font entendre une cruelle dissonance de
septième majeure, cri féminin où se décèlent la terreur et ses plus vives
angoisses. Mais au vers suivant :
« Contre un ennemi trop aimable. »
comme ces deux mêmes voix, s'unissant en tierces, gémissent tendrement! quels
regrets dans ce peu de notes! et comme on sent que l'amour ainsi regretté sera
le plus fort! En effet, à peine la haine, accourue avec son affreux cortège,
a-t-elle commencé son œuvre, qu'Armide l'interrompt et refuse son secours. De
là le chœur :
« Suis l'amour, puisque tu le veux,
» Infortunée Armide,
» Suis l'amour qui te
guide
» Dans un abîme aflreux ! »
Dans le poème de Quinault, l'acte finissait là : Armide sortait avec le chœur
sans rien dire. Ce dénoûment paraissant vulgaire et peu naturel à Gluck, il
voulut que la magicienne demeurée seule un instant, sortît ensuite en rêvant à
ce qu'elle vient d'entendre, et un jour, après une répétition, il improvisa,
paroles et musique, à l'Opéra, cette scène dont voici les vers :
« O ciel! quelle horrible menace!
» Je frémis! tout mon sang se glace!
» Amour, puissant amour, viens calmer mon effroi,
» Et prends pitié d'un cœur
qui s'abandonne à toi! »
La musique en est belle de mélodie, d'harmonie, de vague inquiétude, de tendre
langueur, de tout ce que l'inspiration dramatique et musicale peut avoir de plus
beau. Entre chacune des exclamations des deux premiers vers, sous une sorte de
trémolo intermittent des seconds violons, les basses déroulent une longue phrase
chromatique qui gronde et menace jusqu'au premier mot du troisième vers:
« Amour, » où !a plus suave mélodie, s'épanouissant lente et rêveuse, dissipe, par
sa tendre clarté, la demi-obscurité des mesures précédentes. Puis tout
s'éteint... Armide s'éloigne les yeux baissés, pendant que les seconds violons,
abandonnés du reste de l'orchestre, murmurent encore leur trémolo isolé.
Immense, immense est le génie créateur d'une pareille scène!!!...
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