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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M. Habeneck, huitième lettre, Berlin. (4/6) > A M. Habeneck, huitième lettre, Berlin. (4/6) Loin de là, quand répondant aux supplications de Raoul, madame Devrient parle et
crie par trois fois avec un crescendo de force, nein! nein! nein! je crois
entendre madame Dorval ou mademoiselle Georges dans un mélodrame, et je me
demande pourquoi l'orchestre continue de jouer, puisque l'opéra est fini. Ceci
est d'un ridicule monstrueux. Je n'ai pas entendu le cinquième acte, furieux que
j'étais d'avoir vu le chef-d'œuvre du quatrième défiguré de cette façon. Est-ce
vous calomnier, mon cher Habeneck, d'affirmer que vous en eussiez fait autant?
J'ai peine à le croire. Je connais votre manière de sentir en musique : quand
l'exécution d'un bel ouvrage est tout à fait mauvaise, vous en prenez bravement
votre parti; et même alors, plus c'est détestable et plus vous êtes courageux!
Mais qu'à une seule exception près tout marche à souhait au contraire, oh!
alors cette exception vous irrite, vous crispe, vous exaspère ; vous entrez dans
une de ces rages indignées qui vous feraient voir de sang-froid, avec joie même,
l'extermination de l'individu discordant, et pendant que les bourgeois
s'étonnent de votre colère, les vrais artistes la partagent, et je grince avec
vous de toutes mes dents.
Madame Devrient a certes des qualités éminentes : ce sont la chaleur,
l'entraînement ; mais ces qualités fussent-elles suffisantes, ne m'ont pas d'ailleurs toujours semblé contenues dans
les limites que leur assignent la nature et le caractère de certains rôles.
Valentine, par exemple, même en mettant à parties observations que j'ai faites
plus haut, Valentine la jeune mariée de la veille, le cœur fort mais timide, la
noble épouse de Nevers, l'amante chaste et réservée qui n'avoue son amour à
Raoul que pour l'arracher à la mort, s'accommode mieux d'une passion modeste,
d'un jeu décent et d'un chant expressif que de toutes les bordées à triple
charge de madame Devrient et de son personnalisme endiablé.
Quelques jours après les Huguenots, j'ai vu jouer Armide. La reprise de cet
ouvrage célèbre avait été faite avec tout le soin et le respect qui lui sont dus; la mise en scène était magnifique, éblouissante, et le public s'est montré
digne de la faveur qu'on lui accordait. C'est que de tous les anciens
compositeurs, Gluck est celui dont la puissance me paraît avoir le moins à
redouter des révolutions incessantes de l'art. Jamais il ne sacrifia ni aux
caprices des chanteurs, ni aux exigences de la mode, ni aux habitudes invétérées
qu'il eut à combattre en arrivant en France, encore fatigué de la lutte qu'il
venait de soutenir contre celles des théâtres d'Italie. Sans doute cette guerre
avec les dilettanti de Milan, de Naples et de Parme, au lieu de l'affaiblir,
avait doublé ses forces en lui en révélant l'étendue; car en dépit du fanatisme
qui était alors dans nos mœurs françaises en matière d'art, ce fut presque en
se jouant qu'il brisa et foula aux pieds les misérables entraves qu'on lui
opposait. Les criailleries des critiques parvinrent une fois à lui arracher un
mouvement d'impatience; mais cet accès de colère, qui lui fit commettre
l'imprudence de leur répondre, fut, le seul qu'il eut à se reprocher : et depuis
lors, comme auparavant, il marcha silencieusement droit à son but. Vous savez
quel était celui qu'il voulait atteindre,
et s'il a jamais été donné à un homme d'y parvenir mieux que lui. Avec moins de
conviction ou moins de fermeté il est probable que malgré le génie dont la
nature l'avait doué, ses œuvres abâtardies n'auraient pas survécu de beaucoup à
celles de ses médiocres rivaux, aujourd'hui si complètement oubliés. Mais la
vérité d'expression, qui entraîne avec elle la pureté du style et la grandeur
des formes, est de tous les temps ; les belles pages de Gluck resteront toujours
belles. Victor Hugo a raison : « le cœur n'a pas de rides. »
Mademoiselle Marx, dans Armide, me parut noble et passionnée, bien qu'un peu
accablée cependant de son fardeau épique. Il ne suffit pas, en effet, de
posséder un vrai talent pour représenter les femmes de Gluck, comme pour les
femmes de Shakespeare, il faut pour elles de si hautes qualités d'âme, de cœur,
de voix, de physionomie, d'attitudes, qu'il n'y a point exagération à affirmer
que ces rôles exigent en outre de la beauté et... du génie.
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