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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Une soirée heureuse (3/4) > Une soirée heureuse (3/4)

— L'idée est assez plaisante, m'écriai-je en riant. Mais pourquoi, au nom du ciel, ne veux-tu pas que cette symphonie procure au bon paysan un instant de bonheur à sa façon? N'a-t-il pas, toute proportion gardée, ressenti le même ravissement au fond du cœur que toi avec ton grand chêne et ton ciel étoile scintillant dans la feuillée?
— Allons, je me rends, dit R... avec bonhomie ; c'est de tout cœur que je permets à l'homme des champs de se rappeler le jour de ses noces en écoutant la symphonie en mais quant aux gens instruits de nos villes qui écrivent dans les gazettes musicales, je serais tenté de leur casser la tête pour leur apprendre à faire circuler de pareilles niaiseries parmi les honnêtes gens, et à leur ravir ainsi d'avance l'indépendance d'esprit avec laquelle ils auraient écouté l'œuvre de Beethoven. Au lieu de s'abandonner à la naïveté spontanée de leurs propres impressions, ces braves gens, indignement abusés, au cœur plein et à la tète un peu faible, s'obstineront à chercher la noce de village dont on leur a parlé, solennité à laquelle, par parenthèse, ils n'ont jamais assisté, et à la place de laquelle ils se seraient peut-être figuré toute autre chose, en restant dans la sphère habituelle de leur imagination.
— Tu m'accordes donc, repris-je, que ces symphonies, par leur essence, n'excluent pas la possibilité d'interprétations diverses ?
— Au contraire, je suis persuadé qu'une explication stéréotypée n'est pas admissible Si arrêté et si précises que soient les proportions d'une symphonie de Beethoven, si complètes qu' elles soient comme édifice musical, ce n'en serait pas moins a tort que les impressions que ces compositions font sur le coeur de l'homme seraient ramenées exclusivement à une seule. La même chose a lieu plus ou moins dans tout autre art. Ainsi, un tableau, un drame agissent très diversement sur les diverses individualités même sur le coeur d'une même personne, a des époques différentes, et pourtant le peintre et le poète sont assujettis à une précision bien autrement rigoureuse que le compositeur de musique instrumentale, que rien n'oblige à modeler ses œuvres sur les apparitions de la vie ordinaire; l'immense domaine de l'infini s'ouvre à son génie, et il donne la vie à ses conceptions à l'aide du son, l'élément le plus spiritualisé dont un art puisse disposer. Or, c'est rabaisser le musicien que de le vouloir le forcer à mesurer son enthousiasme sur ce monde vulgaire qui l'entoure, et il renierait sa mission, le compositeur qui s'aviserait de transporter dans son art les proportions étroites des objets matériels.
—  Ainsi! tu rejettes toute peinture à l'aide des sons? lui demandai-je.
— Toutes les fois qu'elle n'est pas employée dans des intentions de plaisanterie et qu'elle ne ne rend point des apparitions purement musicales. Dès qu'il s'agit de plaisanter, tout est permis en musique ; une certaine étroitesse est dans l'essence intime du comique, et rire et faire rire est une belle et excellente chose. Dès que la peinture par les sons sort de là, elle devient absurde. Les motifs d'inspiration musicale doivent être de telle nature qu'ils n'aient pu prendre naissance que dans l'âme d'un musicien.
— Voilà un principe que tu aurais bien de la peine à établir. Au fond, je partage ton opinion ; toutefois je doute qu'elle puisse se concilier partout avec la commune et entière admiration que nous inspirent les œuvres du grand maître. Ne sens-tu pas que ton opinion se trouve, à certains égards, en contradiction directe avec les révélations de Beethoven ?
— Pas le moins du monde, et j'espère bien tirer mes preuves des œuvres mêmes du maître.
— Avant d'entrer dans les détails, dis-moi, ne trouves-tu pas que le caractère de la musique instrumentale de Mozart justifierait beaucoup mieux ton assertion que celui de Beethoven?
— Pas que je sache. Beethoven a singulièrement agrandi la forme de la symphonie ; il a quitté les proportions de l'ancienne période musicale, que Mozart avait élevée au plus haut degré de beauté ; il s'en est affranchi pour suivre l'essor de son génie dans des régions que lui seul pouvait atteindre ; il s'est frayé sa route avec une liberté audacieuse et toujours calme et réfléchie, à laquelle il a su donner une conséquence philosophique; de cette façon, tout en prenant la forme de la symphonie de Mozart pour base, il a créé un nouveau genre, dans lequel il atteignit en même temps les dernières limites de la perfection. Mais tout cela, Beethoven n'aurait pu l'entreprendre, si Mozart, avant lui, n'eût soumis la symphonie à l'action de son génie victorieux,. si le souffle divin de son inspiration n'eût communiqué la vie et l'esprit à ces formes, à ces proportions inanimées, qui seules avaient prévalu jusqu'à l'époque de son avènement. Tel fut le point de départ de Beethoven, et le compositeur qui aspira pour ainsi dire l'âme divine de Mozart ne put jamais tomber de la haute sphère ou séjourne la véritable musique.

— Tu as raison : toutefois tu conviendras que les épanchements du génie de Mozart ne jaillissent jamais que de sources purement musicales; que chez lui l'inspiration se rattache constamment à un sentiment vague, et qu'il n'eût jamais pu rendre autrement que par des sons, quand même il aurait eu le don de la poésie, je parle ici de l'inspiration qui naît dans l'âme du compositeur en même temps que la mélodie, que la formation musicale. La musique de Mozart porte l'empreinte caractéristique de cette spontanéité, et l'on ne saurait admettre qu'il ait formé d'avance le plan d'une symphonie, dont tous les thèmes et même l'expression musicale, telle qu'elle nous a été transmise, ne se fussent trouvés tout achevés - dans sa tête. Au contraire, je ne puis me persuader que Beethoven n'ait pas toujours rattaché le plan d'une symphonie à quelque idée philosophique, et ne l'ait combiné en conséquence avant d'inventer les divers thèmes.
— Et dans quelle œuvre trouverais-tu les preuves de ce que tu avances, répliqua-t-il avec vivacité? Est-ce peut-être dans la symphonie de ce soir,
— Ce serait assez difficile ; mais il me suffira de te nommer la symphonie héroïque. Tu sais qu'elle devait d'abord s'intituler Bonaparte, Pourrais-tu me contester qu'une idée étrangère au domaine de la musique ait inspiré Beethoven et lui ait suggéré le plan de cette œuvre gigantesque ?
— Je suis enchanté que tu aies cité cette symphonie. penses-tu que l'idée de l'héroïsme, qui, dans son audace impétueuse, s'élance au faîte des grandeurs, soit en dehors de la région de l'art musical ? ou trouves-tu que, dans son enthousiasme pour le jeune dieu de la victoire, Beethoven l'ait chanté assez mesquinement pour qu'il puisse te venir à la pensée qu'il ait voulu mettre en musique les bulletins de la première campagne d'Italie?
— Où veux-tu en venir ? Je n'ai rien dit de pareil.

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