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Dix écrits de Richard Wagner - « Stabat Mater », de Pergolèse (2/2) > « Stabat Mater », de Pergolèse (2/2) Telle a été du reste la louable préoccupation de M. Lvoff. L'examen de sa
partition démontre qu'il a pris pour type la sage instrumentation de Mozart.
Trois trombones, deux trompettes, les timbales, deux clarinettes et deux
bassons, tels sont les éléments de l'adjonction faite à l'orchestre primitif.
Mais le plus souvent les clarinettes et les bassons ont seuls un rôle actif dans
l'accompagnement, à l'instar de celui rempli par les bassons et les cors de
bassette dans le Requiem de Mozart. La plus grande difficulté a dû être la
traduction générale du quatuor des instruments à
cordes, car Pergolèse l'avait écrit tout entier dans le style naïf du vieux
temps, se bornant à trois parties la plupart du temps, et quelquefois même à
deux. Fort souvent le complément d'harmonie allait de lui seul, et l'on a
peine à s'expliquer pourquoi le compositeur a omis de l'écrire, ce qui produit
des lacunes très sensibles. Mais dans d'autres endroits, ce remplissage offrait
de grandes difficultés, surtout là où la mélodie semble ne comporter que trois
parties, ou seulement deux, et où une voix supplémentaire peut être considérée
comme superflue ou même nuisible. Ce grave obstacle a néanmoins toujours été
surmonté avec bonheur par M. Lvoff, dont on ne saurait trop louer en général la
discrétion. Les instruments à vent qu'il introduit, loin de couvrir, jamais ni
d'altérer le thème original, servent au contraire à l'éclairer davantage. Ils
ont même un certain caractère indépendant qui concourt à l'effet d'ensemble,
tout à fait suivant les règles adoptées par Mozart, et nous citerons notamment à
cet égard la strophe quatrième, Quæ mœrebat. Quelquefois seulement, par exemple
au début de la première partie, c'est peut-être à tort que la partie des violons
a été transférée aux bassons et aux clarinettes ; non que l'auteur ait méconnu
ici le caractère de ces derniers instruments, mais parce que la basse conservée
des instruments à cordes paraît trop pleine et trop sonore avec les nouveaux
dessus.
Toutefois il est étonnant que l'auteur d'un travail si consciencieux se soit
laissé entraîner une fois à altérer la partie de basse au commencement de la
deuxième strophe, où M. Lvoff a modifié la phrase entière, au grand désavantage
de la mélodie primitive, ce qu'il aura fait sans doute pour éviter un passage
d'une certaine dureté qui se trouve chez Pergolèse dans la partie d'alto. Mais
il y avait, selon nous, moyen de remédier à cette rudesse sans sacrifier la
jolie basse du grand compositeur. C'est, du reste, le seul exemple, dans tout
l'ouvrage, d'un changement défavorable et inutile. Il témoigne à cela près du
zèle le plus consciencieux et d'une appréciation pleine de délicatesse du
chef-d'œuvre ancien, même dans de petits détails d'un caractère un peu suranné.
Ce qu'il y a de plus audacieux dans l'entreprise de M. Lvoff est, sans
contredit, l'adjonction des chœurs, puisque Pergolèse n'écrivit le Stabat que
pour deux voix : une de soprano, une de haute-contre. A la rigueur, il eût mieux
valu respecter l'intention originelle du maître; mais comme pourtant cette
introduction de chœurs n'a nullement gâté l'ouvrage, et que, d'ailleurs, les
deux parties de chant primitives ont été conservées dans toute leur
indépendance, on ne saurait adresser à l'arrangeur aucun blâme sérieux, et il
faut même reconnaître qu'il a ajouté à la richesse de l'ensemble, car cette
adjonction a été opérée
avec une rare habileté et une intelligence supérieure du texte.
Ainsi, dans le premier morceau, la fusion intermittente du chœur avec les voix
de solo rappelle heureusement la manière dont les deux chœurs sont traités dans
le Stabat de Palestrina. Toutefois, c'est principalement sur le chœur que porte
l'inconvénient de l'adjonction des parties complémentaires dans les passages
précités où Pergolèse avait dessiné sa mélodie exclusivement pour deux ou trois.
Ici l'arrangeur a dû restreindre le rôle du chœur à trois parties au plus, pour
ne pas défigurer absolument l'harmonie primitive et n'en pas altérer la noble
simplicité. Cela est surtout sensible dans les passages fugues, comme le Fac ut ardeat. Aussi le chant du thème n'est jamais du ressort du ténor, mais
exclusivement dévolu à l'une des parties de soprano ou de contralto, comme dans
la composition originale, ou bien à celle de basse, qu'il était facile
d'extraire de l'accompagnement primordial. L'arrangeur a dû être surtout
embarrassé par l'Amen, expressément écrit par Pergolèse pour deux voix seulement.
A propos du n° 10, Fac ut Portem, nous remarquerons encore qu'il aurait mieux
valu omettre l'accompagnement du chœur ainsi que la cadence servant de
conclusion, ces deux accessoires sentant par trop l'opéra moderne, et ne cadrant
nullement avec le caractère de l'œuvre sacrée.
Mais si nous avons cru devoir signaler les rares écueils qu'offrait un pareil
travail, nous devons aussi déclarer franchement que le compositeur moderne a
fait preuve, en les doublant, d'une grande habileté. On ne saurait trop louer
surtout la noble intention qui a présidé à l'entreprise de M. Lvoff; car si une
admiration éclairée et une ardente sympathie pour un si grand chef-d'œuvre
étaient seules capables de faire assumer une pareille tâche, nul doute aussi que
M. Lvoff n'en eût parfaitement mesuré l'étendue et la difficulté. C'est donc
une pleine justice que de constater, non seulement le talent, mais aussi le
courage nécessaire pour accomplir un travail semblable, où l'artiste doit faire
abnégation complète de lui-même, et s'effacer constamment pour laisser briller
dans tout son jour le génie supérieur auquel il rend un hommage de prédilection. ***
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