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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XXIII. L'huissier de l'Institut. — Ses révélation! (3/3) > XXIII. L'huissier de l'Institut. — Ses révélation! (3/3) » — Je vous l'ai déjà dit, vous avez le second prix, et il ne vous a manqué
que deux voix pour le premier. » Quand M. Dupont a eu chanté votre cantate, ils
ont commencé à écrire leurs bulletins et j'ai apporté la hurne.1 » Il y avait un
musicien de mon côté, qui parlait bas à un architecte et qui lui disait :
Voyez-vous, celui-là ne fera jamais rien ; ne lui donnez pas votre voix, c'est
un jeune homme perdu. Il n'admire que le dévergondage de Beethoven; on ne le fera jamais rentrer dans la bonne route.
» — Vous croyez, dit l'architecte? cependant...
» — Oh! c'est très-sûr; d'ailleurs demandez à notre illustre Cherubini. Vous ne
doutez pas de son expérience, j'espère; il vous dira comme moi, que ce jeune
homme est fou, que Beethoven lui a troublé la cervelle.
» — Pardon, me dit Pingard en s'interrompant, mais qu'est-ce que ce monsieur
Beethoven? il n'est pas de l'Institut, et tout le monde en parle.
» — Non, il n'est pas de l'Institut. C'est un Allemand : continuez.
» — Ah! mon Dieu, ça n'a pas été long. Quand j'ai présenté la hurne à
l'architecte, j'ai vu qu'il donnait sa voix au n° 4 au lieu de vous la donner,
et voilà. Tout d'un coup il y a un des musiciens qui se lève et dit :
Messieurs, avant d'aller plus loin, je dois vous prévenir que dans le second
morceau de la partition que nous venons d'entendre, il y a un travail d'orchestre très ingénieux, que le piano ne peut pas rendre et qui doit produire
un grand effet. Il est bon d'en être instruit.
» — Que diable viens-tu nous chanter, lui répond un autre musicien, ton élève
ne s'est pas conformé au programme; au lieu d'un air agité, il en a écrit
deux, et dans le milieu il a ajouté une prière qu'il ne devait pas faire. Le
règlement ne peut être ainsi méprisé. Il faut faire un exemple.
» —Oh! c'est trop fort! Qu'en dit M. le secrétaire perpétuel?
» — Je crois que c'est un peu sévère, et qu'on peut pardonner la licence que
s'est permise votre élève. Mais il est important que le jury soit éclairé sur
le genre de mérite que vous avez signalé, et que l'exécution au piano ne
nous a pas laissé apercevoir.
» — Non non, ce n'est pas vrai, dit M. Cherubini, ce prétendu effet
d'instrumentation n'existe pas, ce n'est qu'un fouillis auquel on ne comprend
rien et qui serait détestable à l'orchestre.
» — Ma foi, messieurs, entendez-vous, disent de tous
côtés les peintres, sculpteurs, architectes et graveurs,
nous ne pouvons apprécier que ce que nous entendons,
et pour le reste, si vous n'êtes pas d'accord...
» — Ah! oui!
» — Ah! non!
» — Mais, mon Dieu!
» — Eh! que diable!
» — Je vous dis que...
» — Allons donc!
» — Enfin, ils criaient tous à la fois, et comme ça les ennuyait, voilà M.
Regnault et deux autres peintres qui s'en vont, en disant qu'ils se récusaient
et qu'ils ne voteraient pas. Puis on a compté les bulletins qui étaient dans
la hurne, et il vous a manqué deux voix. » Voilà pourquoi vous n'avez que le
second prix.
» — Je vous remercie, mon bon Pingard; mais, dites-moi, cela se passait-il de
la même manière à l'académie du Cap de Bonne-Espérance ?
» — Oh !par exemple! quelle farce! Une académie au Cap! un Institut
hottentot! Vous savez bien qu'il n'y en a pas.
» — Vraiment! et chez les Indiens de Coromandel?
» — Point.
» — Et chez les Malais?
» — Pas davantage.
» — Ah çà! mais il n'y a donc point d'académie dans l'Orient?
» — Certainement non.
» — Les Orientaux sont bien à plaindre.
» — Ah! oui, ils s'en moquent pas mal !
» — Les barbares! »
Là-dessus je quittai le vieux concierge, gardien-huissier de l'Institut, en
songeant à l'immense avantage
qu'il y aurait à envoyer l'Académie civiliser l'île de Bornéo. Je ruminais déjà
le plan d'un projet que je voulais adresser aux académiciens eux-mêmes, pour les
engager à s'aller promener un peu au Cap de Bonne-Espérance, comme Pingard. Mais
nous sommes si égoïstes nous autres Occidentaux, notre amour de l'humanité est
si faible, que ces pauvres Hottentots, ces malheureux Malais qui n'ont pas
d'académie, ne m'ont pas occupé sérieusement plus de deux ou trois heures; le
lendemain je n'y songeais plus. Deux ans après, ainsi qu'on le verra, j'obtins
enfin, le premier grand prix. Dans l'intervalle, l'honnête Pingard était mort,
et ce fut grand dommage ; car s'il eût entendu mon Incendie du palais de
Sardanapale, il eût été capable cette fois de me payer une tasse entière.
1. L'urne. Le brave Pingard s'est toujours obstiné à appeler ainsi ce
vase d'élection.
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