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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XXIII. L'huissier de l'Institut. — Ses révélation! (2/3) > XXIII. L'huissier de l'Institut. — Ses révélation! (2/3) Comme j'arrivais à l'Institut le soir du jugement dernier pour connaître mon
sort, et savoir si les peintres, sculpteurs, graveurs en médailles et graveurs
en taille-douce m'avaient déclaré bon ou mauvais musicien, je rencontre Pingard
dans l'escalier :
« — Eh bien! lui dis-je, qu'ont-ils décidé?
» — Ah!... c'est vous, Berlioz... pardieu, je suis bien aise ! je vous
cherchais.
» — Qu'ai-je obtenu, voyons, dites vite; un premier prix, un second, une
mention honorable, ou rien?
» — Oh! tenez, je suis encore tout remué. Quand je vous dis qu'il ne vous a
manqué que deux voix pour le premier.
» — Parbleu, je n'en savais rien; vous m'en donnez la première nouvelle.
» — Mais quand je vous le dis!... Vous avez le second prix, c'est bon; mais il
n'a manqué que deux voix pour que vous eussiez le premier. Oh ! tenez, ça m'a vexé; parce que,
voyez-vous, je ne suis ni peintre, ni architecte, ni graveur en médailles, et par conséquent je ne connais rien du
tout en musique; mais ça n'empêche pas que votre Dieu des chrétiens m'a fait
un certain gargouillement dans le cœur qui m'a bouleversé. Et, sacredieu,
tenez, si je vous avais rencontré sur le moment, je vous aurais... je vous
aurais payé une demi-tasse.
» Merci, merci, mon cher Pingard, vous êtes bien bon. Vous vous y connaissez;
vous avez du goût. D'ailleurs n'avez-vous pas visité la côte de Coromandel?
» — Pardi, certainement; mais pourquoi?
» — Les îles de Java.
» .— Oui, mais...
» — De Sumatra?
» — Oui.
» — De Bornéo?
» — Oui.
» — Vous avez été lié avec Levaillant?
» — Pardi, comme deux doigts de la main.
» — Vous avez parlé souvent à Volney?
» — A M. le comte de Volney qui avait des bas bleus?
» — Oui.
» — Certainement.
» — Eh bien ! vous êtes bon juge en musique.
» — Comment ça?
» — Il n'y a pas besoin de savoir comment; seulement si l'on vous dit par
hasard : quel titre avez-vous pour juger du mérite des compositeurs? Êtes-vous
peintre, graveur en taille-douce, architecte, sculpteur? Vous répondrez : Non,
je suis... voyageur, marin, ami de Levaillant et de Volney. C'est plus
qu'il n'en faut. Ah çà, voyons, comment s'est passée la séance?
» — Oh, tenez, ne m'en parlez pas; c'est toujours la même chose. J'aurais
trente enfants, que le diable m'emporte si j'en mettais un seul dans les
arts. Parce que je vois tout ça, moi. Vous ne savez pas quelle sacrée boutique... Par exemple, ils se donnent, ils se vendent même
des voix entre eux. Tenez, une fois au concours de
peinture, j'entendis M. Lethière qui demandait sa voix à M Cherubini pour un
de ses élèves. Nous sommes d'anciens amis, qu'il lui dit, tu ne me refuseras
pas ça. D'ailleurs,mon élève a du talent, son tableau est très bien.— Non,
non, non, je ne veux pas, je ne veux pas, que l'autre lui répond. Ton élève m'avait promis un album que désirait ma femme, et il
n'a pas seulement dessiné un arbre pour elle. Je ne lui donne pas ma voix.
» — Ah! tu as bien tort, que lui dit M. Lethière : je vote pour les tiens, lu
le sais, et tu ne veux pas voter pour les miens! — Non, je ne veux pas.— Alors, je ferai moi-même ton album, là, je ne peux pas mieux dire.— Ah! c'est différent.
Comment l'appe!les-tu ton élève? J'oublie toujours son nom : donne-moi aussi
son prénom et le numéro du tableau, pour que je ne confonde pas. Je vais
écrire tout cela. — Pingard! — Monsieur! — Un papier et un crayon. — Voilà, monsieur. — Ils vont dans
l'embrasure de la fenêtre, ils écrivent trois mots, et puis j'entends le
musicien qui dit à l'autre en repassant : C'est bon! il a ma voix.
» Eh bien! n'est-ce pas abominable? et si j'avais un de mes fils au concours et qu'on lui fit des tours pareils, n'y aurait-il pas
de quoi me jeter par la fenêtre?...
» — Allons, calmez-vous, Pingard, et dites-moi comment tout s'est terminé
aujourd'hui.
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