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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - SUITE DU VOYAGE EN RUSSIE. Mon retour. — Riga. — Berlin. — L’exécution de Faust. — Un dîner à Sans-Souci. — Le roi de Prusse. (1/2) > SUITE DU VOYAGE EN RUSSIE. Mon retour. — Riga. — Berlin. — L’exécution de Faust. — Un dîner à Sans-Souci. — Le roi de Prusse. (1/2) SUITE DU VOYAGE EN RUSSIE Mon retour. — Riga. — Berlin. — L’exécution de Faust. —
Un dîner à Sans-Souci. — Le roi de Prusse.
Le grand carême était fini; rien ne me retenait plus à
Saint-Pétersbourg, et je me décidai, avec de très-vifs regrets, il faut le dire,
à quitter cette brillante capitale dont la charmante hospitalité m’a été si
précieuse. En passant à Riga, j’eus l’idée singulière d’y donner un concert.
La recette en couvrit à peine les frais; mais il me procura la connaissance
de plusieurs artistes et amateurs distingués; celle, entre autres, du maître de
chapelle Schrameck, de M. Martinson et du directeur de la poste. Ce dernier
s’était montré très-peu partisan de mon projet de concert : « Notre petite ville
ne ressemble guère à Saint-Pétersbourg, me dit-il; nous sommes des commerçants;
tout le monde y est occupé en ce moment de la vente du blé; vous n’aurez pour
auditoire qu’une centaine de dames tout au plus, et pas un homme. » Il se
trompait : j’eus cent trente-deux dames et sept hommes. Je crois même qu’en
somme, il me resta trois roubles d’argent (12 francs) de bénéfice. Ce même
directeur de la poste me prétendait dépourvu du physique de mon emploi : « Vous
ne paraissez pas méchant, monsieur, disait-il, et d’après vos feuilletons, que
je lis assidûment, je m’attendais à vous trouver une tout autre physionomie;
car, le diable m’emporte! vous n’écrivez pas avec une plume, mais avec un
poignard. » En tout cas, la pointe de mon poignard n’est pas empoisonnée et les
Precious villain1
dont on m’attribue si volontiers l’égorgement, se portent à merveille. J’eus
en outre, à Riga, une bonne fortune, à laquelle j’étais loin de m’attendre;
l’excellent acteur allemand Baumeister y était en représentations, et je lui vis
jouer... Hamlet!
Une lettre de M. le comte de
Roedern
m’était parvenue à Moscou cinq semaines auparavant, m’exprimant le désir du
roi de Prusse de
connaître ma légende de Faust, et m’engageant à m’arrêter à Berlin, à mon
retour, pour la lui faire entendre. Le roi mettait à ma disposition le théâtre
de l’Opéra et toutes ses ressources, en m’assurant la moitié de la recette
brute. Je ne pouvais qu’être fort sensible à cette gracieuseté royale. Je restai
donc à Berlin une dizaine de jours pour y organiser l’exécution de Faust.
Elle fut admirable de la part de l’orchestre et des chœurs, mais
très-faible sous d’autres rapports. Le ténor, chargé du rôle de Faust, et le
soprano, écrasé par celui de Marguerite, me firent le plus grand tort. On
siffla la ballade du roi de Thulé (applaudie partout ailleurs depuis lors), mais
je ne pus savoir si ces manifestations s’adressaient à l’auteur ou à la
cantatrice, ou à tous les deux ensemble. Cette dernière supposition est la plus
vraisemblable. Le parterre était rempli de gens malveillants, indignés, m’a-t-on
dit, qu’un Français eût eu l’insolence de mettre en musique une paraphrase du
chef-d’œuvre national allemand, et de partisans du prince Ratziville, lequel,
avec l’aide d’un assez bon nombre de véritables compositeurs, a mis en musique
les scènes de Faust destinées au chant. Je n’ai rien vu dans ma
vie d’aussi burlesquement farouche que l’intolérance de certains idolâtres de la
nationalité allemande... En outre, j’avais contre moi cette fois-là, une partie
de l’orchestre de l’Opéra, dont mes
lettres sur Berlin,
traduites en allemand par M. Gathy, et publiées à Hambourg, quelques années
auparavant, m’avaient aliéné les bonnes grâces. Ces lettres, reproduites dans
les présents mémoires, ne contiennent pourtant, on peut s’en convaincre, rien de
blessant pour les instrumentistes de Berlin. Au contraire, je loue ceux-ci de
toutes façons, en critiquant, avec beaucoup de réserve, dans leur orchestre,
certains détails accessoires seulement. J’appelle cet orchestre
MAGNIFIQUE, je le déclare doué de qualités éminentes, de
précision, d’ensemble, de force et de délicatesse;
mais, et voilà mon crime, j’établis une comparaison entre certains virtuoses et
ceux de Paris, et j’avoue (frémissez d’indignation!) que, quant aux flûtistes,
les nôtres les surpassent. Or, ces simples mots avaient amassé dans le cœur de
la première flûte de Berlin un trésor de rage; et il était parvenu, autant que
j’ai pu le comprendre, à faire partager sa fureur à beaucoup de ses confrères,
en leur persuadant que j’avais dit mille infamies de l’orchestre de
Berlin. Nouvelle preuve du danger que l’on court à écrire sur les musiciens, et
à se trouver sous le vent de l’outre de leur amour-propre, quand on a eu le
malheur de lui faire la moindre piqûre. En critiquant un chanteur, on ne
s’expose guère à l’inimitié de ses émules; ceux-ci généralement trouvent, au
contraire, que vous n’avez pas montré pour lui assez de sévérité; mais le
virtuose d’un corps musical en renom prétend toujours qu’en le critiquant, lui,
vous insultez le corps entier auquel il appartient, et parvient
quelquefois à faire croire cette sottise à ses confrères. Il m’arriva un jour,
pendant les répétitions de Benvenuto Cellini à Paris, de faire remarquer
à un second cor (M. Meyfred, un homme d’esprit pourtant), qu’il se trompait dans
un passage important. À cette observation, faite tranquillement, et avec toute
la politesse possible, M. Meyfred, se levant courroucé et perdant tout son
esprit, s’écria : « Je fais ce qu’il y a! pourquoi se méfier ainsi de l’orchestre ?... »
Ce à quoi je répondis encore plus tranquillement : « D’abord, mon cher monsieur
Meyfred, il ne s’agit pas tout à fait de l’orchestre, mais de vous
seulement; ensuite je ne me méfie point, car la méfiance suppose un
doute, et je suis parfaitement sûr que vous vous trompez. » Pour en revenir à
l’orchestre de Berlin, je ne fus pas longtemps à reconnaître ses mauvaises
dispositions à mon égard, pendant les études de Faust. L’accueil glacial
qu’il me faisait chaque jour à mon entrée, son silence hostile après les
meilleurs morceaux de la partition, les regards courroucés lancés sur moi par
les flûtes surtout, et les révélations que je reçus enfin des musiciens restés
mes amis, ne pouvaient me laisser aucun doute. Ces derniers, intimidés par
l’hostilité furibonde de leurs camarades, n’osaient m’applaudir, et ce fut à
voix basse que l’un d’eux, parlant un peu le français, me glissa ces mots, en
passant près de moi sur le théâtre, après une répétition : « Monsieur! la
mousik... elle est souperbe!... » À propos de quelques-uns des siffleurs de la
ballade, il m’est donc assez permis de me méfier (c’est le cas de le dire) de
leurs accointances avec les grandes flûtes, les flûtes immenses, les flûtes
incomparables de l’orchestre de Berlin. Quoi qu’il en soit, je le répète,
l’exécution de l’orchestre fut belle et irréprochable, comme celle des chœurs.
1. Expression d’Othello en parlant d’Iago.
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