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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M. Desmarest, neuvième lettre, Berlin. (5/7) > A M. Desmarest, neuvième lettre, Berlin. (5/7) Dans le milieu du Tuba mirum se trouve une sonnerie des quatre groupes de
trombones sur les quatre notes de l’accord de sol majeur successivement.
La mesure est très-large; le premier groupe doit donner le sol sur le premier
temps; le second, le si sur le second; le troisième, le ré sur le troisième et
le quatrième, le sol octave sur le quatrième. Rien n’est plus facile à concevoir
qu’une pareille succession, rien n’est plus facile à entonner aussi que chacune
de ces notes. Eh bien! quand ce Requiem fut exécuté pour la première fois dans
l’église des Invalides à Paris, il fut impossible d’obtenir l’exécution de ce
passage. Lorsque j’en fis ensuite entendre des fragments à l’Opéra, après avoir
inutilement répété pendant un quart d’heure cette mesure unique, je fus obligé
de l’abandonner; il y avait toujours un ou deux groupes qui n’attaquaient pas;
c’était invariablement celui du si, ou celui du ré, ou tous les deux. En jetant
les yeux, à Berlin, sur cet endroit de la partition, je pensai tout de suite aux
trombones rétifs de Paris :
« — Ah! voyons, me dis-je, si les artistes prussiens parviendront à enfoncer
cette porte ouverte! »
Hélas non! vains efforts! rage ni patience, rien n’y fait! Impossible d’obtenir
l’entrée du second ni du troisième groupe; le quatrième même, n’entendant pas sa
réplique qui devait être donnée par les autres, ne part pas non plus. Je les
prends isolément, je demande au n°2 de donner le si.
Il le fait très-bien;
M’adressant au n°3, je lui demande son ré.
Il me l’accorde sans difficulté;
Voyons maintenant les quatre notes les unes après les autres, dans l’ordre où
elles sont écrites!... Impossible! tout à fait impossible! et il faut y
renoncer!... Comprenez-vous cela ? et n’y a-t-il pas de quoi aller donner de la
tête contre un mur ?...
Et quand j’ai demandé aux trombonistes de Paris et de Berlin pourquoi ils ne
jouaient pas dans la fatale mesure, ils n’ont su que me répondre, ils n’en
savaient rien eux-mêmes; ces deux notes les fascinaient1.
Il faut que j’écrive à H. Romberg qui a monté cet ouvrage à Saint-Pétersbourg
pour savoir si les trombones russes ont pu rompre le charme.
1. Aux deux dernières exécutions du Requiem dans
l’église de Saint-Eustache à Paris, ce passage a pourtant enfin été rendu sans
faute.
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