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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A Stéphen Heller, quatrième lettre, Leipzig. (5/5) > A Stéphen Heller, quatrième lettre, Leipzig. (5/5)

Cette soirée étant organisée par la Société des concerts tout entière, j'avais à ma disposition la riche et puissante Académie de chant dont je vous ai fait déjà un éloge si mérité. Je n'eus garde, vous le pensez bien, de ne pas profiter de cette belle masse vocale, et j'offris aux directeurs de la société le finale à trois chœurs de Roméo et Juliette, dont la traduction allemande avait été faite à Paris par le professeur Duesberg. Il y avait à mettre seulement cette traduction en rapport avec les notes des parties de chant. Ce fut un long et pénible travail; encore, la prosodie allemande n'ayant pas été bien observée par les copistes dans leur distribution de syllabes longues et brèves, il en résulta pour les chanteurs des difficultés telles que Mendelssohn fut obligé de perdre son temps à la révision du texte et à la correction de ce que ces fautes présentaient de plus choquant. Il eut, en outre, à exercer le chœur pendant près de huit jours. (Huit répétitions d'un chœur aussi nombreux coûteraient à Paris 4,800 francs. Et l'on me demande quelquefois pourquoi, dans mes concerts, je ne donne pas Roméo et Juliette!) Cette Académie, où figurent, il est vrai, quelques artistes du théâtre et les élèves de la chapelle de Saint-Thomas, est composée dans sa presque totalité d'amateurs appartenant aux classes élevées de1a société de Leipzig. Voilà pourquoi, dès qu'il s'agit d'apprendre quelque œuvre sérieuse, on peut en obtenir plus aisément un grand nombre de répétitions. Quand je revins de Dresde, les études cependant étaient loin d'être terminées, le chœur d'hommes surtout laissait beaucoup à désirer. Je souffrais de voir un grand maître et un grand virtuose tel que Mendelssohn, chargé de cette tâche subalterne de maître de chant, qu'il remplit, il faut le dire, avec une patience inaltérable. Chacune de ses observations est faite avec douceur et une politesse parfaite, dont on lui saurait plus de gré, si on pouvait savoir combien, en pareil cas, ces qualités sont rares. Quant à moi, j'ai été souvent accusé d'ingalanterie par nos dames de l'Opéra; ma réputation, à cet égard, est parfaite. Je la mérite, je l'avoue; dès qu'il s'agit des études d'un grand chœur, et avant même de les commencer, une sorte de colère anticipée me serre la gorge, ma mauvaise humeur se manifeste, bien que rien encore n'y ait pu donner lieu, et je fais comprendre du regard à tous les choristes l'idée de ce Gascon qui, ayant donné un coup de pied à un petit garçon passant inoffensif auprès de lui, et sur l'observation de celui-ci, qu'il ne lui avait rien fait, répliqua: « Juge un peu, si tu m'avais fait quelque chose! »

Cependant après deux séances encore, les trois chœurs étaient appris, et le finale, avec l'appui de l'orchestre, eût sans aucun doute, parfaitement marché, si un chanteur du théâtre, qui, depuis plusieurs jours, se récriait sur les difficultés du rôle du père Laurence, dont on l'avait chargé, ne fût venu démolir tout notre édifice harmonique élevé à si grand' peine.

J'avais déjà remarqué aux répétitions au piano, que ce monsieur (j'ai oublié son nom) appartenait à la classe nombreuse des musiciens qui ne savent pas la musique; il comptait mal ses pauses, il n'entrait pas à temps, il se trompait d'intonation, etc.; mais je me disais: « Peut-être n'a-t-il pas eu le temps d'étudier sa partie, il apprend pour le théâtre des rôles fort difficiles, pourquoi ne viendrait-il pas à bout de celui-là? » Je pensais pourtant bien souvent à Alizard, qui a toujours si bien dit cette scène, en regrettant fort qu'il fût à Bruxelles et ne sût pas l'allemand. Mais à la répétition générale, la veille du concert, comme ce monsieur n'était pas plus avancé, et que, de plus, il grommelait entre ses dents je ne sais quelles imprécations tudesques, chaque fois qu'on était obligé d'arrêter l'orchestre à cause de lui, ou quand Mendelssohn ou moi nous lui chantions ses phrases, la patience m'échappa enfin, et je remerciai la chapelle, en la priant de ne plus s'occuper de mon ouvrage, dont ce rôle de basse rendait évidemment l'exécution impossible. En rentrant je faisais cette triste réflexion: Deux compositeurs qui ont appliqué pendant de longues années ce que la nature leur a départi d'intelligence et d'imagination à l'étude de leur art, deux cents musiciens, chanteurs et instrumentistes attentifs et capables, se seront fatigués pendant huit jours inutilement et auront dû renoncer à la production de l'œuvre qu'ils avaient adoptée, à cause de l'insuffisance d'un seul homme ! O chanteurs qui ne chantez pas, vous donc aussi vous êtes des dieux!... L'embarras de la Société était grand pour remplacer sur le programme ce finale dont la durée est d'une demi-heure; au moyen d'une répétition supplémentaire, que l'orchestre et les chœurs voulurent bien faire le matin même du jour du concert, nous en vînmes à bout. L'ouverture du Roi Lear, que l'orchestre possédait bien, et l'Offertoire de mon Requiem, où le chœur n'a que quelques notes à chanter, furent substitués au fragment de Roméo, et exécutés le soir de la façon la façon la plus satisfaisante. Je dois même ajouter que le morceau du Requiem produisit un effet auquel je ne m'attendais pas, et me valut un suffrage inestimable, celui de Robert Schuman, l'un des compositeurs critiques les plus justement renommés de l'Allemagne1.

Quelques jours après, ce même Offertoire m'attira un éloge sur lequel je devais bien moins compter; voici comment. J'étais retombé malade à Leipzig, et quand, au moment de mon départ, j'en vins à demander ce que je lui devais au médecin qui m'avait soigné, il me répondit:

« — Écrivez pour moi sur ce carré de papier le thème de votre Offertoire, avec votre signature, et je vous serai redevable encore; jamais morceau de musique ne m'a autant frappé! »

J'hésitais un peu à m'acquitter des soins du docteur d'une semblable manière, mais il insista, et le hasard m'ayant fourni l'occasion de répondre à son compliment par un autre mieux mérité, croiriez-vous que j'eus la simplicité de ne pas la saisir. J'écrivis en tête de la page:

« A M. le docteur Clarus.
«— Carus, me dit-il, vous mettez à mon nom une l de trop. »

Je pensai aussitôt: Patientibus Carus sed Clarus inter doctos, et n'osai l'écrire 2...

Il y a des instants où je suis d'une rare stupidité.

Un compositeur virtuose tel que vous, mon cher Heller, s'intéresse vivement à tout ce qui se rattache à son art; je trouve donc fort naturel que vous m'ayez adressé tant de questions au sujet des richesses musicales de Leipzig; je répondrai laconiquement à quelques-unes. Vous me demandez si la grande pianiste madame Clara Schuman a quelque rivale en Allemagne qu'on puisse décemment lui opposer?
Je ne crois pas.
Vous me priez de vous dire si le sentiment musical des grosses têtes de Leipzig est bon, ou tout au moins porté vers ce que vous et moi nous appelons le beau?
Je ne veux pas.
S'il est vrai que l'acte de foi de tout ce qui prétend aimer l'art élevé et sérieux soit celui-ci: « Il n'y pas d'autre Dieu que Bach, et Mendelssohn est son prophète? »
Je ne dois pas.
Si le théâtre est bien composé, et si le public a grand tort de s'amuser aux petits opéras de Lortzing qu'on y représente souvent?
Je ne puis pas.
Si j'ai lu ou entendu quelques-unes de ces anciennes messes à cinq voix, avec basse continue, qu'on prise si fort à Leipzig?
Je ne sais pas.

Adieu, continuez à écrire de beaux caprices comme vos deux derniers, et que Dieu vous garde des fugues à quatre sujets sur un choral.

1. A la répétition, Schuman, sortant de son mutisme habituel, me dit: Cet offertorium surpasse tout, Mendelssohn, lui, me fit compliment sur une entrée de contrebasse qui se trouve dans l'accompagnement de ma romance l'Absence que l'on chantait aussi dans ce concert.
2. Cher aux malades, mais illustre parmi les savants.

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