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ARGOT MUSICAL - Couac. > Couac. Couac. -- Le sosie du canard. Cette onomatopée s'emploie également dans l'art
vocal ou instrumental.
« Depuis vingt-quatre ans que je chante avec Rubini, disait Lablache, je ne me
souviens pas lui avoir entendu faire un couac. »
H. Berlioz a raconté avec une verve endiablée l'odyssée d'un concerto de
clarinette.
« L'orchestre exécute le tutti. « Tram, pam, pam, tire lire la ré la », comme
dans la marche du Freyschütz. Arrivé à l'accord de la dominante, l'orchestre
s'arrête. Le premier solo va commencer. Le virtuose se campe sur la hanche
gauche, avance la jambe droite, embouche son instrument et, tendant
horizontalement ses deux coudes, fait mine de commencer. Ses joues se gonflent,
il souffle, il
rougit ; vains efforts, rien ne sort du rebelle instrument. Il le présente alors
devant son oeil droit par le côté du pavillon; il regarde dans l'intérieur comme
il eût fait d'un télescope; n'y découvrant rien, il essaye de nouveau, il
souffle avec rage ; pas un son. Désespéré, il ordonne aux musiciens de
recommencer le tutti : « Tram, pam, pam, tire lire la ré la », et, pendant que
l'orchestre s'escrime, le virtuose, plaçant sa clarinette, je ne dirai pas entre
ses jambes, mais beaucoup plus haut, le pavillon en arrière, le bec en avant, se
met à dévisser précipitamment l'anche et à passer l'écouvillon dans le tube...
Déjà l'impitoyable orchestre, ayant fini son tutti, est de nouveau parvenu à son
repos sur l'accord de la dominante.
« Encore! encore! recommencez! » crie aux musiciens l'artiste en pâtiments. Et
les musiciens d'obéir: « Tram, pam, pam, tire lire la ré la. »
Et pour la troisième fois, les voilà de retour à la mesure inexorable qui
annonce l'entrée du solo. Mais la clarinette n'est pas prête: « Da Capo! encore!
encore!» Et l'orchestre de repartir gaîment : « Tram, pam, pam,... »
Pendant cette dernière reprise, le virtuose ayant réarticulé les diverses pièces
du malencontreux instrument, l'avait remis entre ses jambes, avait tiré de sa
poche un canif et s'en servait pour gratter précipitamment l'anche de sa
clarinette.
Les rires, les chuchotements bruissaient dans la salle: les dames détournaient
le visage, les hommes se levaient debout, pour mieux voir; on entendait des
exclamations, de petits cris étouffés, et le scandaleux virtuose continuait à
gratter son anche.
Enfin, il la croit en état; l'orchestre est revenu pour la quatrième fois au
temps d'arrêt du tutti, le soliste réembouche sa clarinette, écarte et élève de
nouveau ses coudes, souffle, sue, rougit, se crispe, rien ne sorti Quand un
effort suprême fait jaillir, comme un éclair sonore, le couac le plus déchirant
qu'on ait jamais entendu. »
(H. Berlioz. Les grotesques de la musique.)
(Voir Canard.)
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