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Accueil de la bibliothèque > Charles Gounod - Mémoires d'un artiste CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - Le retour (3/8) > Le retour (3/8)

La révolution de Février 1848 venait d'éclater lorsque je quittai la maîtrise des Missions étrangères. J'avais rempli, pendant quatre ans et demi, des fonctions qui, tout en étant très utiles et très profitables à mes études musicales, avaient néanmoins l'inconvénient de me laisser végéter, au point de vue de ma carrière et de mon avenir, dans une situation sans issue. Pour un compositeur il n'y a guère qu'une route à suivre pour se faire un nom : c'est le théâtre.

Le théâtre est un lieu dans lequel on trouve chaque jour l'occasion et le moyen de parler au public : c'est une exposition quotidienne et permanente ouverte au musicien.

La musique religieuse et la symphonie sont assurément d'un ordre supérieur, absolument parlant, à la musique dramatique; mais les occasions et les moyens de s'y faire connaître sont exceptionnels et ne s'adressent qu'à un public intermittent, au lieu d'un public régulier comme celui du théâtre. Et puis quelle infinie variété dans le choix des sujets pour un auteur dramatique! Quel champ ouvert à la fantaisie, à l'imagination, à l'histoire l Le théâtre me tentait. J'avais alors près de trente ans, et j'étais impatient d'essayer mes forces sur ce nouveau champ de bataille. Mais il fallait un poème, et je ne connaissais personne à qui en demander un ; mais il fallait trouver un directeur qui voulût de moi et consentît à me confier un ouvrage : lequel y eût été disposé devant mes antécédents de musique religieuse et mon inexpérience de la scène ? Aucun : je me voyais dans une impasse.

Les circonstances placèrent sur mon chemin un homme qui me mit en lumière. Ce fut le violoniste Seghers, qui dirigeait, à cette époque, les concerts de la Société Sainte-Cécile, rue de la Chaussée-d'Antin. J'eus l'occasion de faire entendre, à ces concerts, quelques morceaux qui firent une bonne impression. Seghers connaissait la famille Viardot : Madame Viardot était alors dans tout l'éclat de son talent et de sa réputation : c'était en 1849, au moment où elle venait de créer, avec une autorité si magistrale, le rôle de Fidès dans le Prophète, de Meyerbeer. Madame Viardot m'accueillit avec la meilleure grâce et m'engagea a lui apporter plusieurs de mes compositions pour les lui faire entendre : je me rendis à son offre avec empressement. Je passai plusieurs heures au piano avec elle; et, après m'avoir écouté avec le plus bienveillant intérêt, elle me dit :
— Mais, monsieur Gounod, pourquoi n'écrivez-vous pas un opéra?
— Eh ! madame, répondis-je, je ne demanderais pas mieux ; mais je n'ai pas de poème.
— Comment ? vous ne connaissez personne qui puisse vous en faire un?
— Qui le puisse, mon Dieu, peut-être ; mais qui le veuille, c'est autre chose !... Je connais, ou plutôt j'ai connu jadis, dans mon enfance, Emile Augier, avec qui j'ai joué au cerceau dans le Luxembourg ; mais depuis, Augier est devenu célèbre ; moi, je n'ai pas de crédit, et le camarade d'enfance ne se souciera sans doute guère de refaire une partie autrement risquée qu'un tour de cerceau !
— Eh bien, me dit madame Viardot, allez trouver Augier, et dites-lui que je me charge de chanter le principal rôle de votre opéra s'il veut vous en écrire le poème !

On devine si je me le fis dire deux fois. Je courus chez Augier. qui accueillit ma proposition à bras ouverts.
— Madame Viardot ! s'écria-t-il, comment donc ! mais tout de suite!...

C'était Nestor Roqueplan qui se trouvait alors à la direction de l'Opéra. Sur la recommandation de madame Viardot, il consentait bien à m'abandonner une partie du spectacle, mais non la soirée entière. Il fallait donc trouver un sujet qui réunît trois conditions essentielles : 1° être court; 2° être sérieux ; 3° offrir un rôle de femme comme figure principale. Nous nous décidâmes pour Sapho. L'ouvrage ne pouvait être mis à l'étude que l'année suivante ; d'autre part, Augier avait à terminer une grande pièce dont il s'occupait en ce moment : c'était, je crois, Diane pour mademoiselle Rachel.

Enfin, je tenais une promesse et j'attendis à la fois avec impatience et tranquillité.

Un événement douloureux vint frapper notre famille au moment où j'allais me mettre au travail. C'était au mois d'avril 1850. Augier venait d'achever le poème de Sapho, lorsque mon frère tomba malade, le 2 avril. Le 3, je signais chez Roqueplan le traité par lequel je prenais l'engagement de lui livrer la partition de Sapho le 30 septembre au plus tard. J'avais six mois pour composer et écrire une œuvre en trois actes, mon début au théâtre. Dans la nuit du 6 avril, mon frère rendait le dernier soupir. C'était un coup affreux pour ma vieille mère et pour nous tous !

Mon frère laissait une veuve, mère d'un enfant de deux ans et d'un autre petit être qui devait venir au monde sept mois plus tard, au milieu des larmes, et dont la destinée était d'entrer dans la vie le 2 novembre, le jour même où l'Eglise pleure avec nous ceux que nous avons perdus. Cette situation amenait des difficultés et des complications d'existence auxquelles il fallut songer immédiatement. Les questions de tutelle des enfants, de succession du cabinet d'architecte de mon frère, dont la mort laissait une foule d'affaires en suspens, toutes les conséquences enfin d'un malheur aussi soudain et aussi imprévu réclamèrent pendant un mois ma participation directe au règlement des intérêts et aux arrangements de la vie de ma pauvre belle-sœur anéantie et inconsolable. De plus, ma malheureuse mère avait pensé perdre la raison sous le coup foudroyant qui venait de la frapper. Tout conspirait, en moi-même comme autour de moi, à me rendre incapable de me livrer au travail pour lequel j'avais déjà si peu de temps. Au bout d'un mois cependant, je pus songer à m'occuper de mon ouvrage, qu'il était si urgent d'aborder. Madame Viardot, qui était à ce moment en Allemagne, en représentations, et que j'avais instruite du malheur qui venait de nous atteindre, m'écrivit sur-le-champ pour me presser de partir avec ma mère et d'aller nous installer dans une propriété qu'elle avait dans la Brie : là, je trouverais, me disait-elle, la solitude et la tranquillité dont j'avais besoin.

Je suivis son conseil, et nous partîmes, ma mère et moi, pour cette résidence où se trouvait la mère de madame Viardot (madame Garcia, la veuve du célèbre chanteur), en compagnie d'une sœur de M. Viardot et d'une jeune fille (l'aînée des enfants), aujourd'hui madame Héritte, remarquable musicienne compositeur. Je rencontrai là aussi un homme charmant, Ivan Tourgueneff, l'éminent écrivain russe, excellent et intime ami de la famille Viardot. Je me mis au travail dès mon arrivée. Chose étrange! il semble que les accents douloureux et pathétiques auraient dû être les premiers à remuer mes fibres si récemment ébranlées par de si cruelles émotions! Ce fut le contraire : les scènes lumineuses furent celles qui me saisirent et s'emparèrent de moi tout d'abord, comme si ma nature courbée par le chagrin et le deuil eût éprouvé le besoin de réagir et de respirer après ces heures d'agonie et ces jours de larmes et de sanglots.

Grâce au calme qui régnait autour de moi, mon ouvrage avança plus rapidement que je ne l'avais espéré. Après sa saison d'Allemagne, madame Viardot fut appelée par ses engagements en Angleterre ; elle en revint au commencement de septembre, et trouva mon travail presque terminé. Je m'empressai de lui faire entendre cette œuvre sur laquelle j'attendais son impression avec grande anxiété : elle s'en montra satisfaite et, en quelques jours, elle fut si bien au courant de la partition qu'elle l'accompagnait presque en entier par cœur sur le piano. C'est peut-être le tour de force musical le plus extraordinaire dont j'aie jamais été le témoin, et qui donne la mesure des étonnantes facultés de cette prodigieuse musicienne.

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