Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz
MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XLI. Voyage à Naples. — Le soldat enthousiaste. — Excursion à Nisita. Les lazzaroni. — Ils m'invitent à dîner. — Un coup de fouet. — Le théâtre San-Carlo. — Retour pédestre à Rome, à travers les Abruzzes. — Tivoli. — Encore Virgile. (3/7) > XLI. Voyage à Naples. — Le soldat enthousiaste. — Excursion à Nisita. Les lazzaroni. — Ils m'invitent à dîner. — Un coup de fouet. — Le théâtre San-Carlo. — Retour pédestre à Rome, à travers les Abruzzes. — Tivoli. — Encore Virgile. (3/7) Là-dessus, le vieux lazzarone
raconta, au grand ébahissement de son auditoire, comment, embarqué à vingt ans
sur un speronare, il avait demeuré en mer trois jours et deux nuits, et comme
quoi, toujours poussé vers de nouveaux rivages, il avait enfin été jeté dans une
île lointaine où l'on prétend que Napoléon, depuis lors, a été exilé, et que les
indigènes appellent Isola d'Elba. Je manifestai une grande émotion à cet
incroyable récit, en félicitant de tout mon cœur le brave marin d'avoir échappé
à des dangers aussi formidables. De là, profonde sympathie des lazzaroni pour
mon excellence ; la reconnaissant les exalte, on se parle à l'oreille, on va, on
vient dans la chaumière d'un air de mystère : je vois qu'il s'agit des
préparatifs de quelque surprise qui m'est destinée. En effet, au moment où je me
levais pour prendre congé de la société, le plus grand des jeunes lazzaroni
m'aborde d'un air embarrassé, et me prie, au nom de ses camarades et pour
l'amour d'eux d'accepter un souvenir, un présent, le plus magnifique qu'ils
pouvaient m'offrir, et capable de faire pleurer l'homme le moins sensible.
C'était un oignon monstrueux, une énorme ciboule, que je reçus avec une modestie
et un sérieux dignes de la circonstance, et que j'emportai jusqu'au sommet du
Pau silippe, après mille adieux, serrements de mains et protestations d'une
amitié inaltérable.
Je venais de quitter ces bonnes gens et je cheminais péniblement à cause d'un
coup que je m'étais donné au pied droit en descendant de Nisida ; il faisait
presque nuit. Une belle calèche passa sur la route de Naples. L'idée peu
fashionable me vint de sauter sur la banquette de derrière, libre par l'absence
du valet de pied et de parvenir ainsi sans fatigue jusqu'à la ville. Mais
j'avais compté sans la jolie petite Parisienne emmousselinée qui trônait à
l'intérieur et qui, de sa voix aigre-douce appelant vivement le cocher : «
Louis, il y a quelqu'un derrière! » me fit administrer à travers la figure un
ample coup de fouet. Ce fut le présent de ma gracieuse compatriote. O poupée
française ! Si Crispino seulement s'était trouvé là, nous t'aurions fait passer
un mauvais quart d'heure!
Je revins donc, clopin-clopant, en songeant aux charmes de la vie de brigand,
qui, malgré ses fatigues, serait vraiment aujourd'hui la seule digne d'un
honnête homme, si dans la moindre bande ne se trouvaient toujours tant de
misérables stupides et puants!
J'allai oublier mon chagrin et me reposer à Saint-Charles. Et là, pour la
première fois depuis mon arrivée en Italie, j'entendis de la musique.
L'orchestre, comparé à ceux que j'avais observés jusqu'alors, me parut
excellent. Les instruments à vent peuvent être écoutés en sécurité ; on n'a rien
à craindre de leur part ; les violons sont assez habiles, et les violoncelles
chantent bien, mais ils sont en trop petit nombre. Le système général adopté en
Italie de mettre toujours moins de violoncelles que de contrebasses, ne peut
pas même être justifié par le genre de musique que les orchestres italiens
exécutent habituellement. Je reprocherais bien aussi au maestro di capella le
bruit souverainement désagréable de son archet dont il frappe un peu rudement
son pupitre; mais on m'a assuré que sans cela, les musiciens qu'il dirige
seraient quelquefois embarrassés pour suivre la mesure... A cela il n'y a rien à
répondre ; car enfin, dans un pays où la musique instrumentale est à peu près
inconnue, on ne doit pas exiger des orchestres comme ceux de Berlin, de Dresde
ou de Paris. Les choristes sont d'une faiblesse extrême: je tiens d'un
compositeur qui a écrit pour le théâtre Saint- Charles, qu'il est fort
difficile, pour ne pas dire impossible, d'obtenir une bonne exécution des chœurs
écrits à quatre parties. Les soprani ont beaucoup de peine à marcher isolés des
ténors, et on est pour ainsi dire obligé de les leur faire continuellement
doubler à l'octave.
Au Fondo on joue l'opéra buffa, avec une verve, un feu, un brio, qui lui
assurent une supériorité incontestable sur la plupart des théâtres d'opéra
comique. On y représentait, pendant mon séjour, une farce très-amusante de
Donizetti, Les convenances et les inconvenances du théâtre.
On pense bien, néanmoins, que l'attrait musical des théâtres de Naples ne
pouvait lutter avec avantage contre celui que m'offrait l'exploration des
environs de la ville, et que je me trouvais plus souvent dehors que dedans.
Déjeunant, un matin, à Castellamare, avec Munier, le peintre de marine, que nous
avions surnommé Neptune : — Que faisons nous? me dit-il, en jetant sa serviette,
Naples m'ennuie, n'y retournons pas...
— Allons en Sicile.
— C'est cela, allons en Sicile; laissez-moi seulement finir une étude que j'ai
commencée, et, à cinq heures, nous irons retenir notre place sur le bateau à
vapeur.
— Volontiers, quelle est notre fortune?
Notre bourse visitée, il se trouva que nous avions bien assez pour aller jusqu'à
Palerme, mais que, pour en revenir, il eût fallu, comme disent les moines,
compter sur la Providence ; et, en Français totalement dépourvus de la vertu
qui
transporte les montagnes, jugeant qu'il ne fallait
pas tenter Dieu, nous nous séparâmes, lui, pour aller portraire la mer, moi pour
retourner pédestrement à Rome.
|