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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - LVIII. Mort de mon père. — Nouveau voyage à la Côte-Saint-André. — Excursion à Meylan. — Accès furieux d’isolement. — Encore la Stella del monte. — Je lui écris. (5/6) > LVIII. Mort de mon père. — Nouveau voyage à la Côte-Saint-André. — Excursion à Meylan. — Accès furieux d’isolement. — Encore la Stella del monte. — Je lui écris. (5/6) Ce jour-là, je m’étais dit avec cette niaiserie du
sentimentalisme enfant :
« Quand je serai grand, quand je serai devenu un
compositeur célèbre, j’écrirai un opéra sur l’Estelle de Florian, je le
lui dédierai... j’en apporterai la partition sur cette roche, et elle l’y
trouvera un matin, en venant admirer le lever du soleil. »
Où est la roche ?... la roche!... impossible de la
trouver... Elle a
disparu... Des vignerons l’ont brisée sans doute... ou le vent de la
montagne l’a couverte de sable...
Ce beau cerisier! sur son tronc sa main s’est
appuyée...
Mais qu’y avait-il encore près de là ?... quelque chose
qui semble devoir me la rappeler plus que tout le reste... quelque chose qui lui
ressemblait en grâce... en élégance... quoi donc ? ma mémoire accablée
faiblit... ah! un plant de pois roses dont elle a cueilli des fleurs... c’était
au tournant de ce sentier... j’y cours... Éternelle nature!... les pois roses y
sont encore et la plante plus riche, plus touffue qu’autrefois, balance au
souffle de la brise sa gerbe parfumée!... Temps!... faucheur capricieux!... la
roche a disparu et l’herbe subsiste... Je suis sur le point de tout prendre, de
tout arracher... Mais non, chère plante, reste et fleuris toujours dans ta calme
solitude... sois-y l’emblème de cette partie de mon âme que j’y ai laissée jadis
et qui l’habitera tant que je vivrai!... Je n’emporte que deux de tes tiges avec
leurs fleurs-papillons aux fraîches couleurs, papillons constants!... adieu!...
adieu!... bel arbre aimé, adieu!... monts et vallées, adieu!... vieille tour,
adieu!... vieux Saint-Eynard, adieu!... ciel de mon étoile, adieu!... Adieu ma
romanesque enfance, derniers reflets d’un pur amour! Le flot du temps
m’entraîne; adieu, Stella!... Stella!...
....... Et triste comme un spectre qui rentre dans sa
tombe, je descendis la montagne. Je repassai devant l’avenue de la maison
d’Estelle. Le monsieur au cigare avait disparu... il ne faisait plus tache sur
le péristyle de mon temple... mais je n’osai pourtant y entrer, malgré mon
anxieux désir... Je marchais lentement, lentement, m’arrêtant à chaque pas,
arrachant avec angoisse mon regard de chaque objet...
Je n’avais plus besoin de comprimer mon cœur... il
semblait ne plus battre... je redevenais mort...
Et partout un doux soleil, la solitude et le silence...
Deux heures après, je traversais l’Isère, et sur l’autre
rive, un peu avant la fin du jour, j’arrivais au hameau de Murianette ou je
trouvais mes cousins et leur mère. Le lendemain nous rentrâmes ensemble à
Grenoble. J’avais l’air fort préoccupé, fort étrange, on peut le croire. Resté
seul un instant avec mon cousin Victor, celui-ci ne put s’empêcher de me dire :
« — Qu’as-tu donc ? je ne te vis jamais ainsi...
— Ce que j’ai ?... tiens, tu vas me bafouer, mais puisque tu me
questionnes, je répondrai... D’ailleurs cela me soulagera, j’étouffe... hier
j’étais à Meylan...
— Je le sais; qu’y a-t-il là ?
— Il y a, entre autres choses, la maison de madame Gautier... connais tu sa
nièce1,
madame F****** ?
— Oui, celle qu’on appelait autrefois la belle Estelle D*****.
— Eh bien! je l’ai aimée éperdument quand j’avais douze ans et... je l’aime
encore!...
— Mais, imbécile, me répondit Victor en éclatant de rire, elle a maintenant
cinquante et un ans, son fils aîné en a vingt-deux... il a fait son cours de
droit avec moi! »
1. Sa petite-fille.
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