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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - SUITE DU VOYAGE EN RUSSIE. Mon retour. — Riga. — Berlin. — L’exécution de Faust. — Un dîner à Sans-Souci. — Le roi de Prusse. (2/2) > SUITE DU VOYAGE EN RUSSIE. Mon retour. — Riga. — Berlin. — L’exécution de Faust. — Un dîner à Sans-Souci. — Le roi de Prusse. (2/2)

Bœtticher chanta en excellent musicien et en véritable artiste le rôle de Méphistophélès; le public cria : « Da capo! » après la scène des Sylphes; mais j’étais de mauvaise humeur et ne voulus point recommencer le morceau. Mme la princesse de Prusse, qui deux fois était venue à huit heures du matin dans la salle froide et obscure de l’Opéra, entendre mes répétitions, me dit toutes sortes de choses aimables, le roi m’envoya par Meyerbeer la croix de l’Aigle rouge, m’invita à dîner à son château de Sans-Souci le surlendemain; et le grand critique Rellstab, l’ennemi si longtemps acharné de Meyerbeer et de Spontini, après m’avoir verbalement donné des marques d’amitié et d’estime, m’éreinta dans la Gazette d’État, on ne peut mieux. — Voilà bien des succès, dont le dernier, à mon sens, n’est pas le moindre. Ce dîner à Sans-Souci fut charmant. M. de Humboldt, le comte Mathieu Wielhorski et Mme la princesse de Prusse se trouvaient parmi les convives. — Après le dessert, on alla prendre le café dans le jardin. Le roi se promenait sa tasse à la main; en m’apercevant sur l’escalier d’un pavillon, il s’écria de loin :

« — Eh! Berlioz, venez donc me donner des nouvelles de ma sœur et me raconter votre voyage en Russie. » 

Je m’empressai d’accourir, et je ne sais quelles folies je débitai à mon auguste amphitryon, qui le mirent de très-joyeuse humeur.

« — Avez-vous appris le russe ? me demanda-t-il. 
— Oui, sire, je sais dire : Na prava, na leva (à droite, à gauche) pour conduire un conducteur de traîneau; je sais dire encore Dourack, quand le conducteur s’égare. 
— Et que veut dire le mot dourack ? 
— Il veut dire imbécile, sire! 
— Ah! ah! ah! imbécile, sire; imbécile, sire! c’est charmant! » 

Et le roi de rire aux éclats avec de tels soubresauts d’abdomen et de bras, qu’il répandit sur le sable presque tout le contenu de sa tasse. Cette hilarité, à laquelle je me mêlai sans façons, fit tout à coup de moi un important personnage. Plusieurs courtisans, officiers, gentilshommes et chambellans la remarquèrent du pavillon où ils étaient restés, et l’on songea aussitôt à se mettre bien avec cet homme qui faisait tant rire le roi et qui riait même avec lui si familièrement. Aussi en revenant au pavillon l’instant d’après, me vis-je entouré de grands seigneurs à moi parfaitement inconnus, qui me faisaient de profonds saluts, en déclinant modestement leur nom : « Monsieur, je suis le prince de ***, et je m’estime heureux de faire votre connaissance. — Monsieur, je suis le comte de *****, permettez-moi de vous féliciter du beau succès que vous venez d’obtenir. — Monsieur, je suis le baron de ****; j’ai eu l’honneur de vous voir, il y a six ans, à Brunswick, et je suis enchanté de, etc., etc. » Je ne comprenais pas d’où me pouvait naître à l’improviste un tel crédit à la cour de Prusse, quand enfin je me rappelai la scène du 1er acte des Huguenots, où Raoul, après avoir reçu la lettre de la reine Marguerite, se voit environné de gens qui lui chantent en canon sur tous les degrés de la gamme : « Vous savez si je suis un ami sûr et tendre! » On me prenait pour un puissant favori du roi. Quel drôle de monde qu’une cour!... 

Sans être ni puissant ni favori, je suis au moins profondément reconnaissant de la bienveillance dont le roi de Prusse m’a donné si souvent des preuves, et il n’y eut pas l’ombre de flatterie de ma part, quand je lui dis ce jour-là, dans un moment de conversation sérieuse :

« — Vous êtes le vrai roi des artistes. 
— Comment cela ? qu’ai-je donc fait pour eux ? 
— À ne parler que des artistes musiciens, vous avez fait pour eux beaucoup, sire. Vous avez comblé d’honneurs et royalement récompensé Spontini et Meyerbeer; vous avez fait splendidement exécuter leurs ouvrages; vous avez fait remettre en scène d’une façon grandiose les chefs-d’œuvre de Gluck, qu’on n’entend plus nulle part hors de Berlin; vous avez fait représenter l’Antigone de Sophocle et commandé, pour cette résurrection de l’antique, des chœurs à Mendelssohn; vous avez encore chargé ce maître d’écrire la musique de la ravissante fantaisie de Shakespeare : Le Songe d’une nuit d’été, etc., etc. De plus, l’intérêt direct que vous prenez à toutes les nobles tentatives de l’art devient un excitant pour l’activité des producteurs, un encouragement incessant pour leurs travaux; et ce point d’appui que Votre Majesté offre ainsi aux efforts des artistes a d’autant plus de prix qu’il est le seul de cette nature qu’ils aient en Europe. 
— Allons, c’est peut-être vrai ce que vous dites là; mais il n’en faut pas tant parler. »

Certes, cela était vrai. Il n’en est plus de même aujourd’hui; le roi de Prusse n’est plus le seul souverain de l’Europe qui s’intéresse à la musique. Il y en a deux autres encore : le jeune roi de Hanovre, et le grand-duc de Weimar. En tout, trois.

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