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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M. Desmarest, neuvième lettre, Berlin. (7/7) > A M. Desmarest, neuvième lettre, Berlin. (7/7)

Le public a un instant couvert de ses applaudissements et de ses cris l’entrée du Liber scriptus, et nous sommes arrivés aux derniers accords sotto voce du Mors stupebit, frémissants mais vainqueurs. Et quelle joie parmi les exécutants, quels regards échangés d’un bout à l’autre du théâtre! Quant à moi, j’avais le battant d’une cloche dans la poitrine, une roue de moulin dans la tête, mes genoux s’entre-choquaient, j’enfonçais mes ongles dans le bois de mon pupitre, et si, à la dernière mesure, je ne m’étais efforcé de rire et de parler très-haut et très-vite avec Ries, qui me soutenait, je suis bien sûr que, pour la première fois de ma vie j’aurais, comme disent les soldats, tourné de l’œil d’une façon fort ridicule. Une fois le premier feu essuyé, le reste n’a été qu’un jeu, et le Lacrymosa a terminé, à l’entière satisfaction de l’auteur, cette soirée apocalyptique.

À la fin du concert, beaucoup de gens me parlaient, me félicitaient, me serraient la main; mais je restais là sans comprendre... sans rien sentir... le cerveau et le système nerveux avaient fait un trop rude effort; je me crétinisais pour me reposer. Il n’y eut que Wiprecht, qui, par son étreinte de cuirassier, eut le talent de me faire revenir à moi. Il me fit vraiment craquer les côtes, le digne homme, en entremêlant ses exclamations de jurements tudesques, auprès desquels ceux de Guhr ne sont que des Ave Maria.

Qui eût alors jeté la sonde dans ma joie pantelante, certes, n’en eût pas trouvé le fond. Vous avouerez donc qu’il est quelquefois sage de faire une folie; car sans mon extravagante audace, le concert n’eût pas eu lieu, et les travaux du théâtre étaient pour longtemps réglés de manière à ne pas permettre de recommencer les études du Requiem.

Pour le second concert j’annonçai, comme je l’ai dit plus haut, cinq morceaux de Roméo et Juliette. La Reine Mab était du nombre. Pendant les quinze jours qui séparèrent la seconde soirée de la première, Ganz et Taubert avaient étudié attentivement la partition de ce scherzo, et quand ils me virent décidé à le donner, ce fut leur tour d’avoir peur :

« — Nous n’en viendrons pas à bout, me dirent-ils, vous savez que nous ne pouvons faire que deux répétitions, il en faudrait cinq ou six, rien n’est plus difficile, ni plus dangereux; c’est une toile d’araignée musicale, et sans une délicatesse de tact extraordinaire, on la mettra en lambeaux.
— Bah! je parie qu’on s’en tirera encore; nous n’avons que deux répétitions, il est vrai, mais il n’y a que cinq morceaux nouveaux à apprendre, dont quatre ne présentent pas de grandes difficultés. D’ailleurs, l’orchestre a déjà une idée de ce scherzo par la première épreuve partielle que nous en avons faite, et Meyerbeer en a parlé au roi qui veut l’entendre, et je veux que les artistes aussi sachent ce que c’est, et il marchera. »

Et il a marché presque aussi bien qu’à Brunswick. On peut oser beaucoup avec de pareils musiciens, avec des musiciens, qui, d’ailleurs, avant d’être dirigés par Meyerbeer, furent pendant si longtemps sous le sceptre de Spontini. Ce second concert a eu le même résultat que le premier, les fragments de Roméo ont été fort bien exécutés. La Reine Mab a beaucoup intrigué le public, et même des auditeurs savants en musique, témoin Mme la princesse de Prusse, qui a voulu absolument savoir comment j’avais produit l’effet d’accompagnement de l’allegretto et ne se doutait pas que ce fût avec des sons harmoniques de violons et de harpes à plusieurs parties. Le roi a préféré le morceau de la Fête chez Capulet et m’en a fait demander une copie; mais je crois que les sympathies de l’orchestre ont été plutôt pour la scène d’amour (l’adagio). Les musiciens de Berlin auraient, en ce cas, la même manière de sentir que ceux de Paris. Mlle Hähnel avait chanté simplement à la répétition les couples de contralto du prologue; mais au concert elle crut devoir, à la fin de ces deux vers :

« Où se consume
Le rossignol en longs soupirs! »

orner le point d’orgue d’un long trille pour imiter le rossignol. Oh! mademoiselle!!! quelle trahison! et vous avez l’air d’une si bonne personne!

Eh bien! au Dies irae, au Tuba mirum, au Lacrymosa, à l’Offertoire du Requiem, aux ouvertures de Benvenuto et du Roi Lear, à Harold, à sa Sérénade, à ses Pèlerins et à ses Brigands, à Roméo et Juliette, au concert et au bal de Capulet, aux espiègleries de la Reine Mab, à tout ce que j’ai fait entendre à Berlin, il y a des gens qui ont préféré tout bonnement Le Cinq mai!... Les impressions sont diverses comme les physionomies, je le sais; mais quand on me disait cela je devais faire une singulière grimace. Heureusement que je cite là des opinions tout à fait exceptionnelles.

Adieu, mon cher Desmarest; vous savez que nous avons une antienne à réciter au public, dans quelques jours, au Conservatoire; ramenez- moi vos seize violoncelles, les grands chanteurs, je serai bien heureux de les réentendre et de vous voir à leur tête. Il y a si longtemps que nous n’avons chanté ensemble! Et pour leur faire fête, dites-leur que je les conduirai avec le bâton de Mendelssohn.

Tout à vous.

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