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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A Mlle Louise Bertin, septième lettre, Berlin. (3/4) > A Mlle Louise Bertin, septième lettre, Berlin. (3/4) Berlin est la seule des villes d'Allemagne (que j'ai visitées) où l'on trouve le
grand trombone basse (en si bémol). Nous n'en possédons point encore à Paris,
les exécutants se refusant à la pratique d'un instrument qui leur fatigue la
poitrine. Les poumons prussiens sont apparemment plus robustes que les nôtres.
L'orchestre de l'Opéra de Berlin possède deux de ces instruments, dont la
sonorité est telle qu'elle écrase et fait disparaître complètement le son des
autres trombones, alto et ténor, exécutant les parties hautes. Le timbre rude et
prédominant d'un trombone basse suffirait à rompre l'équilibre et à détruire
l'harmonie des trois parties de trombones qu'écrivent partout aujourd'hui les
compositeurs. Or, à l'Opéra de Berlin, il n'y a point d'ophicléide, et au lieu
de le remplacer par un bass-tuba dans les opéras venus de France et qui
contiennent presque tous une partie d'ophicléide, on a imaginé de faire jouer
cette partie par un deuxième trombone basse. Il en résulte que la partie
d'ophicléide, écrite souvent à l'octave-inférieure du troisième trombone, étant
ainsi exécutée, l'union de ces deux terribles instruments produit un effet
désastreux. On n'entend plus que le son grave des
instruments de cuivre; c'est tout au plus si la voix des trompettes peut
surnager encore. Dans mes concerts, où je n'avais pourtant employé (pour les
symphonies) qu'un trombone basse, je fus obligé, remarquant qu'on l'entendait
seul, de prier l'artiste qui le jouait de rester assis, de manière que le
pavillon de l'instrument fût tourné contre le pupitre, qui lui servait en quelque sorte de sourdine, pendant que les trombones, ténor et alto, au
contraire, jouaient debout, leur pavillon passant en conséquence pardessus la
planchette du pupitre. Alors, seulement, on put entendre les trois parties. Ces
observations réitérées, faites à Berlin m'ont conduit à penser que la meilleure
manière de grouper les trombones dans les théâtres, est, après tout, celle qu'on
a adoptée à l'Opéra de Paris, et qui consiste à employer ensemble trois
trombones ténors. Le timbre du petit trombone (l'alto) est grêle, et ses notes
hautes ne présentent que peu d'utilité. Je voterais donc aussi pour son
exclusion dans les théâtres, et ne désirerais la présence d'un trombone basse
que si l'on écrivait à quatre parties, et avec trois ténors capables de lui
résister.
Si je ne parle pas d'or, au moins parlé-je beaucoup de cuivre : cependant je
suis sûr, mademoiselle, que ces détails d'instrumentation vous intéresseront
beaucoup plus que mes tirades misanthropiques et mes histoires de têtes de mort.
Vous êtes mélodiste, harmoniste, et fort peu versée, du moins que je sache, en
ostéologie. Ainsi donc, je continue l'examen des forces musicales de l'Opéra de
Berlin.
Le timbalier est bon musicien, mais il n'a pas beaucoup d'agilité dans les
poignets ; ses roulements ne sont pas assez serrés. D'ailleurs, ses timbales
sont trop petites, elles ont peu de son, et il ne connaît qu'une seule espèce de
baguettes d'un effet médiocre et tenant le milieu entre nos baguettes à tête de
peau et celles
à tête d'éponge. On est à cet égard, dans toute l'Allemagne, fort en arrière de
la France. Sous le rapport même de l'exécution, et en exceptant Wiprecht, le
chef des corps d'harmonie militaire de Berlin, qui joue des timbales comme un
tonnerre, je n'ai pas trouvé un artiste qu'on puisse comparer, pour la
précision, la rapidité du Roulement et la finesse des nuances, à Poussard,
l'excellent timbalier de l'Opéra. Faut-il vous parler des cymbales ? Oui, et
pour vous dire seulement qu'une paire de cymbales intactes, c'est-à-dire qui ne
sont ni fêlées ni écornées, qui sont entières enfin, est chose fort rare, et
que je n'ai-trouvée ni à Weimar, ni à Leipzig, ni à Dresde, ni à Hambourg, ni à
Berlin. C'était toujours pour moi un sujet de très-grande colère, et il m'est
arrivé de faire attendre l'orchestre une demi-heure et de ne vouloir pas
commencer une répétition avant qu'on m'eût apporté deux cymbales bien neuves,
bien frémissantes, bien turques comme je les voulais, pour montrer au maître de
chapelle si j'avais tort de trouver ridicules et détestables les fragments de
plats cassés qu'on me présenterait sous ce nom. En général, il faut reconnaître
l'infériorité choquante où certaines parties de l'orchestre ont été maintenues
en Allemagne jusqu'à présent. On ne semble pas se douter du parti qu'on en peut
tirer et qu'on en tire effectivement ailleurs. Les instruments ne valent rien,
et les exécutants sont loin d'en connaître toutes les ressources. Telles sont
les timbales, les cymbales, la grosse caisse même; tels sont encore le cor
anglais, l'ophicléide et la harpe. Mais ce défaut tient évidemment à la manière
d'écrire des compositeurs, qui n'ayant jamais rien demandé d'important a ces
instruments, sont cause que leurs successeurs, qui écrivent d'une autre façon,
n'en peuvent presque rien obtenir.
Mais de combien les Allemands, en revanche,
nous
sont supérieurs pour les instruments de cuivre en général et les trompettes en
particulier! Nous n'en avons pas d'idée. Leurs clarinettes aussi valent mieux
que les nôtres; il n'en est pas de même pour les hautbois; il y a. je crois, à
cet égard, égalité de mérite entre les deux écoles; quant aux flûtes, nous les
surpassons; on ne joue nulle part de la flûte comme à Paris.
Leur contre-basses sont plus fortes que les contre-basses françaises; leurs
violoncelles, leurs altos et leurs violons ont de grandes qualités; on ne
saurait pourtant, sans injustice, les mettre au niveau de notre jeune école
d'instruments à archet. Les violons, les altos et les violoncelles de
l'orchestre du Conservatoire à Paris n'ont point de rivaux. J'ai prouvé
surabondamment, ce me semble, la rareté des bonnes harpes en Allemagne ; celles
de Berlin ne font point exception à la règle générale, et on aurait grand besoin
dans cette capitale de quelques élèves de Parish-Alvars. Ce magnifique
orchestre, dont les qualités de précision d'ensemble, de force et de délicatesse
sont éminentes, est placé sous la direction de Meyerbeer, directeur général de
la musique du roi de Prusse. C'est... Meyerbeer (je crois que vous le connaissez
!!!...) : de Hennig (premier maître de chapelle) homme habile, dont le talent est
en grande estime auprès des artistes; et de Taubert (deuxième maître de
chapelle) pianiste et compositeur brillant. J'ai entendu (exécuté par lui et les
frères Ganz) un trio de piano de sa composition, d'une facture excellente, d'un
style neuf et plein de verve. Taubert vient d'écrire et de faire entendre avec
succès, les chœurs de la tragédie grecque Médée récemment mise en scène à
Berlin.
MM. Ganz et Ries se partagent le titre et les fonctions de maître de concert.
Montons sur la scène maintenant.
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