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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A Mlle Louise Bertin, septième lettre, Berlin. (4/4) > A Mlle Louise Bertin, septième lettre, Berlin. (4/4) Le chœur, au jour des représentations ordinaires, se cornpose de soixante voix seulement; mais lorsqu'on exécute les grands opéras en
présence du roi, la force du chœur est alors doublée, et soixante autres
choristes externes sont adjoints à ceux du théâtre. Toutes ces voix sont
excellentes, fraiches, vibrantes. La plupart des choristes, hommes, femmes et
enfants, sont musiciens, moins habiles lecteurs cependant que ceux de l'Opéra de
Paris, mais beaucoup plus qu'eux exercés à l'art du chant, et plus attentifs et
plus soigneux, et mieux payés. C'est le plus beau chœur de théâtre que j'aie
encore rencontré. Il a pour directeur Elssler, frère de la célèbre danseuse. Cet
intelligent et patient artiste pourrait s'épargner beaucoup de peine et faire
plus rapidement avancer les études des chœurs, si au lieu d'exercer les cent
vingt voix toutes à la fois dans la même salle, il les divisait préliminairement en trois groupes (les soprani et contralti, les ténors, les
basses), étudiant isolément, en même temps, dans trois salles séparées, sous la
direction de trois sous-chefs choisis et surveillés par lui. Cette méthode
analytique, qu'on ne veut pas absolument admettre dans les théâtres, pour de
misérables raisons d'économie et d'habitude routinière, est la seule cependant
qui puisse permettre d'étudier à fond chaque partie d'un chœur, et d'en obtenir
l'exécution soignée et bien nuancée ; je l'ai dit ailleurs, je ne me lasserai
pas de le répéter.
Les chanteurs-acteurs du théâtre de Berlin n'occupent pas dans la hiérarchie des
virtuoses, une place aussi élevée que celle où le chœur et l'orchestre sont
parvenus, chacun dans sa spécialité, parmi les masses musicales de l'Europe.
Cette troupe contient cependant des talents remarquables, parmi lesquels il faut
citer :
Mademoiselle Marx, soprano expressif et très-sympathique, dont les cordes
extrêmes dans le grave et l'aigu, commencent déjà malheureusement à s'altérer un
peu;
Mademoiselle Tutchek, soprano flexible, d'un timbre assez pur et agile ;
Mademoiselle Hähnel, contralto bien caractérisé ;
Bœticher, excellente basse, d'une grande étendis el d'un beau timbre; chanteur
habile, bel acteur, musicien et lecteur consommé ;
Zsische, basse chantante, d'un vrai talent, dont la vois et la méthode semblent
briller au concert plus encore qu'au théâtre.
Mantius, premier ténor; sa voix manque un peu de souplesse et n'est pas
très-étendue;
Madame Schrœder-Devrient, engagée depuis quelques mois seulement : soprano usé
dans le haut, peu flexible, éclatant et dramatique cependant. Madame Devrient
chante maintenant trop bas toutes les fois qu'elle ne peut pousser la note avec
force. Ses ornements sont de très-mauvais goût, et elle entremêle son chant de
phrases et d'interjections parlées, comme font nos acteurs de vaudeville dans
leurs couplets, d'un effet exécrable. Cette école de chant est la plus
antimusicale et la plus triviale qu'on puisse signaler aux débutants pour qu'ils
se gardent de l'imiter.
Pischek, l'excellent baryton dont j'ai parlé à propos de Francfort, vient aussi,
dit-on, d'être engagé par M. Meyerbeer. C'est une acquisition précieuse, dont il
faut féliciter la direction du théâtre de Berlin.
Voila, mademoiselle, tout ce que je sais des ressources que possède la
musique dramatique dans la capitale de la Prusse. Je n'ai pas entendu une seule
représentation du théâtre italien, je m'abstiendrai donc de vous en
parler.
Dans une prochaine lettre et avant de m'occuper du récit de mes concerts,
j'aurai à rassembler mes souvenirs sur les représentations des Huguenots et
d'Armide auxquelles j'ai assisté, sur l'Académie de chant et sur
les bandes militaires, institutions d'un caractère essentiellement opposé, mais
d'une valeur immense, et dont la splendeur comparée à ce que nous possédons en
ce genre, doit profondément humilier notre amour-propre national.
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