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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M. Girard, deuxième lettre, Stuttgard, Hechingen. (3/4) > A M. Girard, deuxième lettre, Stuttgard, Hechingen. (3/4)

Le premier basson, M. Neukirchner, est un virtuose de première force qui s'attache peut-être trop à faire parade de grandes difficultés; il joue en outre sur un basson tellement mauvais, que des intonations douteuses viennent à chaque instant blesser l'oreille et empêcher l'effet des phrases même les mieux rendues par l'exécutant. On distingue parmi les cors, M. Schuncke; il fait aussi comme ses confrères de Francfort, un peu trop cuivrer le son des notes élevées. Les cors à cylindres (ou chromatiques) sont exclusivement employés à Stuttgard. L'habile facteur Adolphe Sax, actuellement établi à Paris, a démontré surabondamment la supériorité de ce système sur celui des pistons, à peu près abandonné à cette heure dans toute l'Allemagne, pendant que celui des cylindres pour les cors, trompettes, bombardons, bass-tubas, y devient d'un usage général. Les Allemands appellent instruments à soupape (ventil-horn, ventil-trompetten) ceux auxquels ce mécanisme est appliqué. J'ai été surpris de ne pas le voir adopté pour les trompettes dans la musique militaire, assez bonne d'ailleurs, de Stuttgard; on en est encore là aux trompettes à deux pistons, instruments fort imparfaits et bien loin pour la sonorité et la qualité du timbre, des trompettes à cylindres dont on se sert à présent partout ailleurs. Je ne parle pas de Paris; nous y viendrons dans quelque dix ans.

Les trombones sont d'une belle force ; le premier (M. Schrade), qui fit, il y a quatre ans, partie de l'orchestre du concert Vivienne, à Paris, a un véritable talent. Il possède à fond son instrument, se joue des plus grandes difficultés, tire du trombone-ténor un son magnifique; je pourrais même dire des sons, puisqu'il sait, au moyen d'un procédé non encore expliqué, produire trois et quatre notes à la fois, comme ce jeune corniste1 dont toute la presse musicale s'est récemment occupée à Paris. Schrade, dans un point d'orgue d'une fantaisie qu'il a exécutée en public à Stuttgard, a fait entendre simultanément, et à la surprise générale, les quatre notes de l'accord de septième dominante du ton de si b, ainsi posées: fa ut la mi b, c'est aux acousticiens qu'il appartient de donner la raison de ce nouveau phénomène de la résonnante des tubes sonores; à nous autres musiciens de le bien étudier et d'en tirer parti si l'occasion s'en présente. Un autre mérite de l'orchestre de Stuttgard, c'est qu'il est composé de lecteurs intrépides, que rien ne trouble, que rien ne déconcerte, qui lisent à la fois la note et la nuance, qui à la première vue ne laissent échapper ni un P ni un F, ni un mezzo-forte, ni un smorzando, sans l'indiquer. Ils sont en outre rompus à tous les caprices du rythme et de la mesure, ne se cramponnent pas toujours aux temps forts, et savent sans hésiter accentuer les temps faibles et passer d'une syncope à une autre sans embarras et sans avoir l'air d'exécuter un pénible tour de force. En un mot, leur éducation musicale est complète sous tous les rapports. J'ai pu reconnaître en eux ces précieuses qualités dès la première répétition de mon concert. J'avais choisi pour celui-là la Symphonie fantastique et l'ouverture des Francs-Juges. Vous savez combien ces deux ouvrages contiennent de difficultés rythmiques, de phrases syncopées, de syncopes croisées, de groupes de quatre notes superposées à des groupes de trois, etc, etc; toutes choses qu'aujourd'hui, au Conservatoire, nous jetons vigoureusement à la tête du public, mais qu'il nous a fallu travailler pourtant, et beaucoup et longtemps. J'avais donc lieu de craindre une foule d'erreurs à différents passages de l'ouverture et du finale de la symphonie: je n'en ai pas eu à relever une seule, tout a été vu et lu et vaincu du premier coup. Mon étonnement était extrême. Le vôtre ne sera pas moindre, si je vous dis que nous avons monté cette damnée symphonie et le reste du programme en deux répétitions. L'effet eût même été très-satisfaisant si les maladies vraies ou simulées ne m'eussent enlevé la moitié des violons le jour du concert. Me voyez-vous, avec quatre premiers violons et quatre seconds, pour lutter avec tous ces instruments à vent et à percussion? Car l'épidémie avait épargné le reste de l'orchestre, et il ne manquait rien, rien que la moitié des violons! Oh! en pareil cas, je ferais comme Max dans le Freyschütz, et pour obtenir des violons, je signerais un pacte avec tous les diables de l'enfer. C'était d'autant plus navrant et irritant, que, malgré les prédictions de Lindpaintner, le roi et la cour étaient venus. Nonobstant cette défection de quelques pupitres, l'exécution fut, sinon puissante (c'était chose impossible) au moins intelligente, exacte et chaleureuse. Les morceaux de la Symphonie fantastique qui produisirent le plus d'effet furent l'adagio (la Scène aux champs,) et le finale (le Sabbat). L'ouverture fut chaudement accueillie; quant à la Marche des pèlerins d'Harold, qui figurait aussi dans le programme, elle passa presque inaperçue. Il en a été de même encore dans une autre où j'avais eu l'imprudence de la faire entendre isolément ; tandis que partout où j'ai donné Harold en entier, ou au moins les trois premières parties de cette symphonie, la marche a été accueillie comme elle l'est à Paris, et souvent redemandée. Nouvelle preuve de la nécessité de ne pas morceler certaines compositions, et de ne les produire que dans leur jour et sous le point de vue qui leur est propre.

Faut-il vous dire maintenant qu'après le concert je reçus toutes sortes de félicitations de la part du roi, de M. le comte Neiperg et du prince Jérôme Bonaparte? Pourquoi pas? On sait que les princes sont en général d'une bienveillance extrême pour les artistes étrangers, et je ne manquerais réellement de modestie que si j'allais vous répéter ce que m'ont dit quelques-uns des musiciens le soir même et les jours suivants. D'ailleurs, pourquoi ne pas manquer de modestie? Pour ne pas faire grogner quelques mauvais dogues à la chaîne, qui voudraient mordre quiconque passe en liberté devant leur chenil ? Cela vaut bien la peine d'aller employer de vieilles formules et jouer une comédie dont personne n'est dupe! La vraie modestie consisterait, non-seulement à ne pas parler de soi, mais à ne pas en faire parler, à ne pas attirer sur soi l'attention publique, à ne rien dire, à ne rien écrire, à ne rien faire, à se cacher, à ne pas vivre. N'est-ce pas là une absurdité?... Et puis j'ai pris le parti de tout avouer, heur et malheur; j'ai commencé déjà dans ma précédente lettre, et je suis prêt à continuer dans celle-ci. Ainsi je crains fort que Lindpaintner, qui est un maître, et dont j'ambitionnais beaucoup le suffrage, approuvant dans tout cela l'ouverture seulement, n'ait profondément abominé la symphonie; je parierais que Molique n'a rien approuvé. Quant au docteur Schilling, je suis sûr qu'il a tout trouvé exécrable, et qu'il a été bien honteux d'avoir fait les premières démarches pour produire à Stuttgard un brigand de mon espèce, véhémentement soupçonné d'avoir violé la musique, et qui, s'il parvient à lui inspirer sa passion de l'air libre et du vagabondage, fera de la chaste muse une sorte de bohémienne, moins Esmeralda qu'Héléna Mac Grégor, virago armée, dont les cheveux flottent au vent, dont la sombre tunique étincelle de brillants colifichets, qui bondit pieds nus sur les roches sauvages, qui rêve au bruit des vents et de la foudre, et dont le noir regard épouvante les femmes et trouble les hommes sans leur inspirer l'amour.

Aussi Schilling, en sa qualité de conseiller du prince de Hoheuzollern-Hechingen, n'a pas manqué d'écrire à Son Altesse et de lui proposer, pour la divertir, le curieux sauvage, plus convenable dans la Forêt-Noire que dans une ville civilisée. Et le sauvage, curieux de tout connaître, au reçu d'une invitation rédigée en termes aussi obligeants que choisis par M. le baron de Billing, autre conseiller intime du prince, s'est acheminé, à travers la neige et les grands bois de sapins, vers la petite ville d'Hechingen, sans trop s'inquiéter de ce qu'il pourrait y faire. Cette excursion dans la Forêt-Noire m'a laissé un confus mélange de souvenirs joyeux, tristes, doux et pénibles, que je ne saurais évoquer sans un serrement de cœur presque inexplicable. Le froid, le double deuil noir et blanc étendu sur les montagnes, le vent qui mugissait sous les pins frissonnants, le travail secret du ronge-cœur si actif dans la solitude, un triste épisode d'un douloureux roman lu pendant le voyage... Puis l'arrivée à Hechingen, les gais visages, l'amabilité du prince, les fêtes du premier jour de l'an, le bal, le concert, les rires fous, les projets de se revoir à Paris, et... les adieux... et le départ... Oh! je souffre!... Quel diable m'a poussé à vous faire ce récit, qui ne présente pourtant, comme vous l'allez voir, aucun incident émouvant ni romanesque... Mais je suis ainsi fait, que je souffre parfois, sans motif apparent, comme, pendant certains états électriques de l'atmosphère, les feuilles des arbres remuent sans qu'il fasse du vent.

l. Vivier, le spirituel mystificateur; artiste excentrique, mais artiste d'un mérite réel et doué de qualités musicales fort rares.

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