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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XLVIII. L'<i>Esmeralda</i> de mademoiselle Bertin. — Répétitions de mon opéra de <i>Benvenuto Cellini</i>. — Sa chute éclatante. — L'ouverture du Carnaval romain. — Habeneck. — Duprez. — Ernest Legouvé. (3/3) > XLVIII. L'Esmeralda de mademoiselle Bertin. — Répétitions de mon opéra de Benvenuto Cellini. — Sa chute éclatante. — L'ouverture du Carnaval romain. — Habeneck. — Duprez. — Ernest Legouvé. (3/3)

Quelques années après, quand j'eus écrit l'ouverture du Carnaval romain, dont l'allegro a pour thème ce même saltarello qu'il n'a jamais pu faire marcher, Habeneck se trouvait dans le foyer de la salle de Herz le soir du concert où devait être entendue pour la première fois cette ouverture. Il avait appris qu'à la répétition du matin, le service de la garde nationale m'ayant enlevé une partie de mes musiciens, nous avions répété sans instruments à vent. « Bon! s'était-il dit, il va y avoir ce soir quelque catastrophe dans son concert, il faut aller voir cela! » En arrivant à l'orchestre, en effet, tous les artistes chargés de la partie des instruments à vent m'entourèrent effrayés à l'idée de jouer devant le public une ouverture qui leur était entièrement inconnue.

« N'ayez pas peur, leur dis-je, les parties sont correctes, vous êtes tous des gens de talent, regardez mon bâton le plus souvent possible, comptez bien vos pauses et cela marchera. »

Il n'y eut pas une seule faute. Je lançai l'allegro dans le mouvement tourbillonnant des danseurs transtévérins ; le public cria bis ; nous recommençâmes l'ouverture ; elle fut encore mieux rendue la seconde fois ; et en rentrant au foyer où se trouvait Habeneck un peu désappointé, je lui jetai en passant ces quatre mots : « Voilà ce que c'est ! » auxquels il n'eut garde de répondre.

Je n'ai jamais senti plus vivement que dans cette occasion le bonheur de diriger moi-même l'exécution de ma musique; mon plaisir redoublait en songeant à ce que Habeneck m'avait fait endurer.

Pauvres compositeurs! Sachez vous conduire, et vous bien conduire! (avec ou sans calembour) car le plus dangereux de vos interprètes, c'est le chef d'orchestre, ne l'oubliez pas.

Je reviens à Benvenuto.

Malgré la réserve prudente que l'orchestre gardait à mon égard pour ne point contraster avec la sourde opposition que me faisait son chef, néanmoins les musiciens à l'issue des dernières répétitions ne se gênèrent pas pour louer plusieurs morceaux, et quelques-uns déclarèrent ma partition l'une des plus originales qu'ils eussent entendues. Cela revint aux oreilles de Duponchel, et je l'en tendis dire un soir : « A-t-on jamais vu un pareil revirement d'opinion? Voilà qu'on trouve la musique de Berlioz charmante et que nos imbéciles de musiciens la portent aux nues! » Plusieurs d'entre eux néanmoins étaient fort loin de se montrer mes partisans. Ainsi on en surprit deux un soir qui, dans le finale du second acte, au lieu de jouer leur partie, jouaient l'air : J'ai du bon tabac. Ils espéraient par là faire la cour à leur chef. Je trouvais sur le théâtre le pendant à ces polissonneries. Dans ce même finale, où la scène doit être obscure et représente une cohue nocturne de masques sur la place Colonne, les danseurs s'amusaient à pincer les danseuses, joignant leurs cris à ceux qu'ils leur arrachaient ainsi et aux voix des choristes dont ils troublaient l'exécution. Et quand dans mon indignation, pour mettre fin à un si insolent désordre, j'appelais le directeur, Duponchel était toujours introuvable; il ne daignait point assister aux répétitions.

Bref, l'opéra fut joué. On fit à l'ouverture un succès exagéré, et l'on siffla tout le reste avec un ensemble et une énergie admirables. Il fut néanmoins joué trois fois, après quoi, Duprez ayant cru devoir abandonner le rôle de Benvenuto, l'ouvrage disparut de l'affiche et n'y reparut que longtemps après; A. Dupond ayant employé cinq mois entiers à apprendre ce rôle qu'il était courroucé de n'avoir pas obtenu en premier lieu.

Duprez était fort beau dans les scènes de violence, telles que le milieu du sextuor quand il menace de briser sa statue; mais déjà sa voix ne se prêtait plus aux chants doux, aux sons filés, à la musique rêveuse ou calme. Ainsi dans son air, Sur les monts les plus sauvages, il ne pouvait soutenir le sol haut à la fin de la phrase : Je chanterais gaîment, et, au lieu de la longue tenue de trois mesures que j'ai écrite, il ne faisait qu'un sol bref et détruisait ainsi tout l'effet. Madame Gras-Dorus et madame Stoltz furent l'une et l'autre charmantes dans les rôles de Térésa et d'Ascanio qu'elles apprirent avec beaucoup de bonne grâce et tous leurs soins. Madame Stoltz fut même si remarquée dans son rondo du second acte : Mais qu'ai-je donc? qu'on peut considérer ce rôle comme son point de départ vers la position exorbitante qu'elle acquit ensuite à l'Opéra et du haut de laquelle on l'a si brusquement précipitée.

Il y a quatorze ans1 que j'ai été ainsi traîné sur la claie à l'Opéra; je viens de relire avec soin et la plus froide impartialité ma pauvre partition, et je ne puis m'empêcher d'y rencontrer une variété d'idées, une verve impétueuse, et un éclat de coloris musical que je ne retrouverai peut-être jamais et qui méritaient un meilleur sort.

J'avais mis assez longtemps à écrire la musique de Benvenuto, et, sans un ami qui me vint en aide, n'eussé-je pas pu la terminer pour l'époque désignée. Il faut être libre de tout autre travail pour écrire un opéra, c'est-à-dire il faut avoir son existence assurée pendant plus ou moins longtemps. Or, j'étais fort loin d'être alors dans ce cas-là; je ne vivais qu'au jour le jour des articles que j'écrivais dans plusieurs journaux et dont la rédaction m'occupait exclusivement. J'essayai bien de consacrer deux mois à ma partition dans le premier accès de la fièvre qu'elle me donna ; l'impitoyable nécessité vint bientôt m'arracher de la main la plume du compositeur pour y mettre de vive force celle du critique. Ce fut un crève-cœur indescriptible. Mais il n'y avait pas à hésiter, j'avais une femme et un fils, pouvais-je les laisser manquer du nécessaire? Dans le profond abattement où j'étais plongé, tiraillé d'un côté par le besoin et de l'autre par les idées musicales que j'étais obligé de repousser, je n'avais même plus le courage de remplir comme à l'ordinaire ma tâche détestée d'écrivailleur.

J'étais plongé dans les plus sombres préoccupations quand Ernest Legouvé vint me voir. « Où en est votre opéra, me demanda-t-il?— Je n'ai pas encore fini le premier acte. Je ne puis trouver le temps d'y travailler. — Mais si vous aviez ce temps...— Parbleu, alors j'écrirais du matin au soir — Que vous faudrait-il pour être libre?—Deux mille francs que je n'ai pas.—Et si quelqu'un...Si on vous les... Voyons, aidez-moi donc. — Quoi ? Que voulez-vous dire?... — Eh bien, si un de vos amis vous les prêtait...
— A quel ami pourrais-je demander une pareille somme?
— Vous ne la demanderez pas, c'est moi qui vous l'offre!... » Je laisse à penser ma joie. Legouvé me prêta en effet, le lendemain, les deux mille francs, grâce auxquels je pus terminer Benvenuto. Excellent cœur! Digne et charmant homme! écrivain distingué, artiste lui-même, il avait deviné mon supplice, et dans son exquise délicatesse, il craignait de me blesser en me proposant les moyens de le faire cesser!... Il n'y a guère que les artistes qui se comprennent ainsi... Et j'ai eu le bonheur d'en rencontrer plusieurs qui me sont venus en aide de la même façon.

1. Il ne faut pas oublier que ceci fut écrit en 1850. Depuis lors l'opéra de Benvenuto Cellini un peu modifié dans le poème, a été mis en scène avec succès à Weimar, où il est souvent représenté sous la direction de Liszt. La partition de piano et chant a en outre été publiée avec texte allemand et français chez Mayer, à Brunswick, en 1858.
Elle a même été publiée à Paris, chez Choudens, en 1865.

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