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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XLI. Voyage à Naples. — Le soldat enthousiaste. — Excursion à Nisita. Les lazzaroni. — Ils m'invitent à dîner. — Un coup de fouet. — Le théâtre San-Carlo. — Retour pédestre à Rome, à travers les Abruzzes. — Tivoli. — Encore Virgile. (1/7) > XLI. Voyage à Naples. — Le soldat enthousiaste. — Excursion à Nisita. Les lazzaroni. — Ils m'invitent à dîner. — Un coup de fouet. — Le théâtre San-Carlo. — Retour pédestre à Rome, à travers les Abruzzes. — Tivoli. — Encore Virgile. (1/7) XLI
Voyage à Naples. — Le soldat enthousiaste. — Excursion à Nisita. Les lazzaroni.
— Ils m'invitent à dîner. — Un coup de fouet. — Le théâtre San-Carlo. — Retour
pédestre à Rome, à travers les Abruzzes. — Tivoli. — Encore Virgile.
Naples!!! ciel limpide et pur! soleil de fêtes! riche terre!
Tout le monde a décrit, et beaucoup mieux que je ne pourrais le faire, ce
merveilleux jardin. Quel voyageur, en effet, n'a été frappé de la splendeur de
son aspect! Qui n'a admiré, à midi, la mer faisant la sieste et les plis
moelleux de sa robe azurée et le bruit flatteur avec lequel elle l'agite
doucement! Perdu, à minuit, dans le cratère du Vésuve, qui n'a senti un vague
sentiment d'effroi aux sourds roulements de son tonnerre intérieur, aux cris de
fureur qui s'échappent de sa bouche, à ces explosions, à ces myriades de roches
fondantes, dirigées contre le ciel comme de brûlants blasphèmes, qui retombent
ensuite, roulent sur le col de la montagne et s'arrêtent pour former un ardent
collier sur la vaste poitrine du volcan! Qui n'a parcouru tristement le
squelette de cette désolée Pompéia, et, spectateur unique, n'a attendu, sur les
gradins de l'amphithéâtre, la tragédie d'Euripide ou de Sophocle pour laquelle la scène semble encore préparée! Qui n'a accordé
un peu d'indulgence aux mœurs des lazzaroni, ce charmant peuple d'enfants, si
gai, si voleur, si spirituellement facétieux, et si naïvement bon quelquefois?
Je me garderai donc d'aller sur les brisées de tant de descripteurs; mais je ne
puis résister au plaisir de raconter ici une anecdote qui peint on ne peut mieux
le caractère des pêcheurs napolitains. Il s'agit d'un festin que des lazzaroni
me donnèrent, trois jours après mon arrivée, et d'un présent qu'ils me firent
au dessert. C'était par un beau jour d'automne, avec une fraîche brise, une
atmosphère claire, transparente, à faire croire qu'on pourrait de Naples, sans
trop étendre le bras, cueillir des oranges à Caprée. Je me promenais à la villa Reale
; j'avais prié mes camarades de l'Académie romaine de me laisser errer seul ce
jour-là. En passant près d'un petit pavillon que je ne remarquais point, un
soldat, en faction devant l'entrée me dit brusquement en français :
— Monsieur, levez votre chapeau !
— Pourquoi donc ?
— Voyez !
Et, me désignant du doigt une statue de marbre placée au centre du pavillon, je
lus sur le socle ces deux mots qui me firent à l'instant faire le signe de
respect que l'enthousiaste militaire me demandait : Torquato Tasso. Cela est
bien! cela est touchant !... mais j'en suis encore à me demander comment la
sentinelle du poète avait deviné que j'étais Français et artiste, et que
j'obéirais avec empressement à son injonction. Savant physionomiste! Je reviens
à mes lazzaroni.
Je marchais donc nonchalamment au bord de la mer, en songeant, tout ému, au
pauvre Tasso, dont j'avais, avec Mendelssohn, visité la modeste tombe à Rome, au
couvent de Sant-Onofrio, quelques mois auparavant,
philosophant, à part moi, sur le malheur des poètes qui sont poètes par le cœur,
etc., etc. Tout d'un coup, Tasso me fit penser à Cervantes, Cervantes à sa
charmante pastorale Galathée, Galathée à une délicieuse figure qui brille à côté
d'elle dans le roman et qui se nomme Nisida, Nisida à l'île de la baie de
Pouzzoles qui porte ce joli nom, et je fus pris à l'improviste d'un désir
irrésistible de la visiter1.
J'y cours; me voilà dans la grotte du Pausilippe; j'en sors, toujours courant;
j'arrive au rivage; je vois une barque, je veux la louer; je demande quatre
rameurs, il en vient six ; je leur offre un prix raisonnable, en leur faisant
observer que je n'avais pas besoin de six hommes pour nager dans une coquille de
noix jusqu'à Nisida. Ils insistent en souriant et demandent à peu près trente
francs pour une course qui en valait cinq tout au plus; j'étais de bonne humeur,
deux jeunes garçons se tenaient à l'écart sans rien dire, avec un air d'envie ;
je trouvai bouffonne l'insolente prétention de mes rameurs, et désignant les
deux lazzaronetti :
« — Eh bien ! oui, allons, trente francs, mais venez tous les huit et ramons
vigoureusement. »
Cris de joie, gambades des petits et des grands ! nous sautons dans la barque,
et en quelques minutes nous arrivons à Nisida. Laissant mon navire à la garde de
l'équipage, je monte dans l'île, je la parcours dans tous les sens, je regarde le
soleil descendre derrière le cap Misène poétisé par l'auteur de l'Énéide, pendant
que la mer qui ne se souvient ni de Virgile, ni d'Énée, ni d'Ascagne, ni de
Misène, ni de Palinure, chante gaiement dans le mode majeur mille accords
scintillants...
1. Le vrai. nom de l'île est Nisita, mais je l'ignorais alors.
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