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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XXX. Distribution des prix à l'Institut. — Les académiciens. — Ma cantate de Sardanapale. Son exécution — L'incendie qui ne s'allume pas. — Ma fureur. — Effroi de madame Malibran. (2/2) > XXX. Distribution des prix à l'Institut. — Les académiciens. — Ma cantate de Sardanapale. Son exécution — L'incendie qui ne s'allume pas. — Ma fureur. — Effroi de madame Malibran. (2/2) Suivent le premier air, le deuxième récitatif, le deuxième air, le troisième
récitatif et le troisième air, où le personnage expire ordinairement, mais où le
chanteur et les auditeurs respirent. Monsieur le secrétaire perpétuel prononce à
haute et intelligible voix les nom et prénoms de l'auteur, tenant d'une main la
couronne de laurier artificiel qui doit ceindre les tempes du triomphateur, et
de l'autre une médaille d'or véritable, qui lui servira à payer son terme avant
le départ pour Rome. Elle vaut cent soixante francs, j'en suis certain. Le
lauréat se lève :
Son front nouveau tondu, symbole de candeur
Rougit, en approchant d'une honnête
pudeur.
Il embrasse M. le secrétaire perpétuel. On applaudit un peu. A quelques pas de
la tribune de M le secrétaire perpétuel se trouve le maître illustre de l'élève
couronné; l'élève embrasse son illustre maître: c'est juste. On applaudit encore
un peu. Sur une banquette du fond, derrière les académiciens, les parents du
lauréat versent silencieusement des larmes de joie : celui-ci, enjambant les
bancs de l'amphithéâtre, écrasant le pied de l'un, marchant sur l'habit de
l'autre, se précipite dans les bras de son père et de sa mère, qui, cette fois,
sanglotent tout haut : rien de plus naturel Mais on n'applaudit plus, le public
commence à rire. A droite du lieu de la scène larmoyante, une jeune personne
fait des signes au héros de la fête : celui-ci ne se fait pas prier, et déchirant
au passage la robe de gaze d'une dame, déformant le chapeau d'un dandy, il finit
par arriver jusqu'à sa cousine. Il embrasse sa cousine. Il embrasse quelquefois
même le voisin de sa cousine. On rit beaucoup. Une autre femme, placée dans un
coin obscur et d'un difficile accès, donne quelques marques de sympathie que
l'heureux vainqueur se garde bien de ne pas apercevoir. Il vole embrasser aussi
sa maîtresse, sa future, sa fiancée, celle qui doit partager sa gloire. Mais
dans sa précipitation et son indifférence pour les autres femmes, il en renverse
une d'un coup de pied, s'accroche lui-même à une banquette, tombe lourdement,
et, sans aller plus loin, renonçant à donner la moindre accolade à la pauvre
jeune fille, regagne sa place, suant et confus. Cette fois, on applaudit à
outrance, on rit aux éclats; c'est un bonheur, un délire: c'est le beau moment
de la séance académique, et je sais bon nombre d'amis de la joie qui n'y vont
que pour celui-là. Je ne parle pas ainsi par rancune
contre les rieurs, car je n'eus pour ma part, quand mon tour arriva, ni père, ni
mère, ni cousine, ni maître, ni maîtresse à embrasser. Mon maître était malade,
mes parents absents et mécontents; pour ma maîtresse... Je n'embrassai donc que
M. le secrétaire perpétuel et je doute, qu'en l'approchant, on ait pu remarquer
la rougeur de mon front, car, au lieu d'être nouveau tondu, il était enfoui
sous une forêt de longs cheveux roux, qui, avec d'autres traits
caractéristiques, ne devaient pas peu contribuer à me faire ranger dans la
classe des hiboux. J'étais d'ailleurs, ce jour-là, d'humeur très peu
embrassante; je crois même ne pas avoir éprouvé de plus horrible colère dans ma
vie. Voici pourquoi: la cantate du concours avait pour sujet la Dernière nuit de Sardanapale. Le
poème finissait au moment ou Sardanapale vaincu appelle ses plus
belles esclaves et monte avec elles sur le bûcher. L'idée m'était venue tout
d'abord d'écrire une sorte de symphonie descriptive de l'incendie, des cris de
ces femmes mal résignées, des fiers accents de ce brave voluptueux défiant la
mort au milieu des progrès de la flamme, et du fracas de l'écroulement du
palais. Mais en songeant aux moyens que j'allais avoir à employer pour rendre
sensibles, par l'orchestre seul les principaux traits d'un tableau de cette
nature, je m'arrêtai. La section de musique de l'Académie eût condamné, sans
aucun doute, toute ma partition, à la seule inspection de ce finale
instrumental: d'ailleurs, rien ne pouvant être plus inintelligible, réduit à
l'exécution du piano, il devenait au moins inutile de l'écrire. J'attendis donc.
Quand ensuite le prix m'eût été accordé, sûr alors de ne pouvoir plus le perdre,
et d'être en outre exécuté à grand orchestre, j'écrivis mon incendie. Ce
morceau, à la répétition générale, produisit un tel effet que plusieurs de
messieurs les académiciens, pris au dépourvu, vinrent eux-mêmes m'en faire
compliment, sans arrière-pensée et sans rancune pour le piège où je venais de prendre leur religion musicale.
La salle des séances publiques de l'Institut était pleine d'artistes et
d'amateurs, curieux d'entendre cette cantate dont l'auteur avait alors déjà une
fière réputation d'extravagance. La plupart, en sortant, exprimaient l'étonnement
que leur avait causé l'incendie, et par le récit qu'ils firent de cette
étrangeté symphonique, la curiosité et l'attention des auditeurs du lendemain,
qui n'avaient point assisté à la répétition, furent naturellement excitées à un
degré peu ordinaire.
A l'ouverture de la séance, me méfiant un peu de l'habileté de Grasset,
l'ex-chef d'orchestre du Théâtre-Italien, qui dirigeait alors, j'allai me placer
à côté de lui, mon manuscrit à la main. Madame Malibran, attirée elle aussi par
la rumeur de la veille, et qui n'avait pas pu trouver place dans la salle, était
assise sur un tabouret, auprès de moi, entre deux contrebasses. Je la vis ce
jour-là pour la dernière fois.
Mon decrescendo commence.
(La cantate débutant par ce vers : Déjà la nuit a voilé la nature, j'avais dû
faire un coucher du soleil au lieu du lever de l'aurore consacré. Il semble que
je sois condamné à ne jamais agir comme tout le monde, à prendre la vie et
l'Académie à contre-poil !)
La cantate se déroule sans accident. Sardanapale apprend sa défaite, se résout à
mourir, appelle ses femmes; l'incendie s'allume, on écoute; les initiés de la
répétition disent à leurs voisins;
— « Vous allez entendre cet écroulement, c'est étrange, c'est prodigieux! »
Cinq cent mille malédictions sur les musiciens qui ne comptent pas leurs pauses!!!
une partie de cor donnait dans ma partition la réplique aux timbales, les
timbales la donnaient aux cymbales, celles-ci à la grosse caisse, et
le premier coup de la grosse caisse amenait l'explosion finale! Mon damné cor
ne fait pas sa note, les timbales ne l'entendant pas n'ont garde de partir, par
suite, les cymbales et la grosse caisse se taisent aussi ; rien ne part!
rien!!!... les violons et les basses continuent seuls leur impuissant trémolo;
point d'explosion! un incendie qui s'éteint sans avoir éclaté, un effet ridicule
au lieu de l'écroulement tant annoncé ; ridiculus mus!... Il n'y a qu'un
compositeur déjà soumis à une pareille épreuve qui puisse concevoir la fureur
dont je fus alors transporté. Un cri d'horreur s'échappa de ma poitrine
haletante, je lançai ma partition à travers l'orchestre, je renversai deux
pupitres; madame Malibran fit un bond en arrière, comme si une mine venait
soudain d'éclater à ses pieds; tout fut en rumeur, et l'orchestre, et les
académiciens scandalisés, et les auditeurs mystifiés, et les amis de fauteur
indignés. Ce fut encore une catastrophe musicale et plus cruelle qu'aucune de
celles que j'avais éprouvées précédemment.. Si elle eût au moins été pour moi la
dernière!
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