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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XXII. Le concours de composition musicale. — Le règlement de l'Académie des Beaux-Arts. — J'obtiens le second prix. (2/2) > XXII. Le concours de composition musicale. — Le règlement de l'Académie des Beaux-Arts. — J'obtiens le second prix. (2/2) Les votes recueillis et les concurrents désignés, ceux-ci devaient se
représenter bientôt après pour recevoir les paroles de la scène qu'ils allaient
avoir à meure en musique, et entrer en loge. M. le secrétaire perpétuel de
l'Académie des beaux-arts leur dictait collectivement
le classique poème, qui commençait presque toujours
ainsi :
« Déjà l'aurore aux doigts de rose.
Ou :
» Déjà le jour naissant ranime la nature.
Ou :
» Déjà d'un doux éclat l'horizon se colore.
Ou :
» Déjà du blond Phœbus le char brillant s'avance.
Ou :
» Déjà de pourpre et d'or les monts lointains se parent. etc., etc.
Les candidats, munis du lumineux poème, étaient alors enfermés isolément avec un
piano, dans une chambre appelée loge, jusqu'à ce qu'ils eussent terminé leur
partition. Le matin à onze heures et le soir à six, le concierge, dépositaire
des clefs de chaque loge, venait ouvrir aux détenus, qui se réunissaient pour
prendre ensemble leur repas; mais défense à eux de sortir du palais de
l'Institut.
Tout ce qui leur arrivait du dehors, papiers, lettres, livres, linge, était
soigneusement visité, afin que les concurrents ne pussent obtenir ni aide, ni
conseil de personne. Ce qui n'empêchait pas qu'on ne les autorisât à recevoir
des visites dans la cour de l'Institut, tous les jours de six à huit heures du
soir, à inviter même leurs amis à de joyeux dîners, où Dieu sait tout ce qui
pouvait se communiquer, de vive voix ou par écrit, entre le vin de Bordeaux et
le vin de Champagne. Le délai fixé pour la composition était de vingt-deux
jours; ceux des compositeurs qui avaient fini avant ce temps étaient libres de
sortir après avoir déposé leur manuscrit, toujours numéroté et signé.
Toutes les partitions étant livrées, le lyrique aréopage s'assemblait de nouveau
et s'adjoignait à cette occasion deux membres pris dans les autres sections de
l'Institut; un sculpteur et un peintre, par exemple, ou un graveur et un
architecte, ou un sculpteur et un graveur ou un architecte et un peintre, ou
même deux graveurs, ou deux peintres, ou deux architectes, ou deux sculpteurs.
L'important était qu'ils ne fussent pas musiciens. Ils avaient voix
délibérative, et se trouvaient là pour juger d'un art qui leur est étranger.
On entendait successivement toutes les scènes écrites pour l'orchestre, comme je
l'ai dit plus haut, et on les entendait réduites par un seul accompagnateur sur
le piano!... (Et il en est encore ainsi à cette heure).
Vainement prétendrait-on qu'il est possible d'apprécier à sa juste valeur une
composition d'orchestre ainsi mutilée, rien n'est plus éloigné de la vérité. Le
piano peut donner une idée de l'orchestre pour un ouvrage qu'on aurait déjà
entendu complètement exécuté, la mémoire alors se réveille, supplée à ce qui
manque, et on est ému par souvenir. Mais pour une œuvre nouvelle, dans l'état
actuel de la musique, c'est impossible. Une partition telle que l'Œdipe de
Sacchini, ou toute autre de cette école, dans laquelle l'instrumentation
n'existe pas, ne perdrait presque rien à une pareille épreuve. Aucune
composition moderne, en supposant que l'auteur ait profité des ressources que
l'art actuel lui donne, n'est dans le même cas. Exécutez donc sur le piano la
marche de la communion de la messe du sacre, de Cherubini! que deviendront ces
délicieuses tenues d'instruments à vent qui vous plongent dans une extase
mystique? ces ravissants enlacements de flûtes et de clarinettes d'où résulte
presque tout l'effet? Ils disparaîtront entièrement, puisque le piano ne peut
tenir ni enfler un son. Accompagnez au piano l'air d'Agamemnon, dans l'Ilphigénie
en Aulide de Gluck!
Il y a sous ces vers :
« J'entends retentir dans mon sein
» Le cri plaintif de la nature! »
un solo de hautbois d'un effet poignant et vraiment admirable. Au piano, au
lieu d'une plainte touchante chacune des notes de ce solo vous donnera un son de
clochette et rien de plus. Voilà l'idée, la pensée, l'inspiration anéanties ou
déformées. Je ne parle pas des grands effets d'orchestre, des oppositions si
piquantes établies entre les instruments à cordes et le groupe des instruments à
vent, des couleurs tranchées qui séparent les instruments de cuivre des
instruments de bois, des effets mystérieux ou grandioses des instruments à
percussion dans la nuance douce, de leur puissance énorme dans la force, des
effets saisissants qui résultent de l'éloignement des masses harmoniques placées
à distance les unes des autres, ni de cent autres détails dans lesquels il
serait superflu d'entrer. Je dirai seulement qu'ici l'injustice et l'absurdité
du règlement se montrent dans toute leur laideur. N'est-il pas évident que le
piano, anéantissant tous les effets d'instrumentation, nivelle, par cela seul,
tous les compositeurs. Celui qui sera habile, profond, ingénieux instrumentaliste, est rabaissé à la taille de l'ignorant qui n'a pas les premières
notions de cette branche de l'art. Ce dernier peut avoir écrit des trombones au
lieu de clarinettes, des ophicléides au lieu de bassons, avoir commis les plus
énormes bévues, ne pas connaître seulement l'étendue de la gamme des divers
instruments, pendant que l'autre aura composé un magnifique orchestre, sans
qu'il soit possible, avec une pareille exécution, d'apercevoir la différence
qu'il y a entre eux. Le piano, pour les instrumentalistes, est donc une vraie
guillotine destinée à abattre toutes les nobles têtes et dont la plèbe seule n'a
rien à redouter.
Quoi qu'il en soit, les scènes ainsi exécutées, on va au scrutin (je parle au
présent, puisque rien n'est changé à cet égard). Le prix est donné. Vous croyez
que c'est fini? Erreur. Huit jours après, toutes les sections de l'Académie des
beaux-arts se réunissent pour le jugement définitif. Les peintres, statuaires,
architectes, graveurs en médailles et graveurs en taille-douce, forment cette
fois un imposant jury de trente à trente-cinq membres dont les six musiciens
cependant ne sont pas exclus. Ces six membres de la section de musique peuvent,
jusqu'à un certain point, venir en aide à l'exécution incomplète et perfide du
piano, en lisant les partitions ; mais cette ressource ne saurait exister pour
les autres académiciens, puisqu'ils ne savent pas la musique.
Quand les exécuteurs, chanteur et pianiste, ont fait entendre une seconde fois,
de la même façon que la première, chaque partition, l'urne fatale circule, on
compte les bulletins, et le jugement que la section de musique avait porté huit
jours auparavant se trouve, en dernière analyse, confirmé, modifié ou cassé par
la majorité.
Ainsi le prix de musique est donné par des gens qui ne sont pas musiciens, et
qui n'ont pas même été mis dans le cas d'entendre, telles qu'elles ont été
conçues, les partitions entre lesquelles un absurde règlement les oblige de
faire un choix.
Il faut ajouter, pour être juste, que si les peintres, graveurs, etc., jugent
les musiciens, ceux-ci leur rendent la pareille au concours de peinture, de
gravure, etc., où les prix sont donnés également à la pluralité des voix, par
toutes les sections, réunies de l'Académie des beaux-arts. Je sens pourtant en
mon âme et conscience que, si j'avais l'honneur d'appartenir à ce docte corps,
il me serait bien difficile de motiver mon vote en donnant le prix à un graveur
ou à un architecte, et que je ne pourrais guère faire
preuve d'impartialité qu'en tirant le plus méritant à la courte paille.
Au jour solennel de la distribution des prix, la cantate préférée par les
sculpteurs, peintres et graveurs est ensuite exécutée complètement. C'est un peu
tard; il eût mieux valu, sans doute, convoquer l'orchestre avant de se prononcer
; et les dépenses occasionnées par cette exécution tardive sont assez inutiles,
puisqu'il n'y a plus a revenir sur la décision prise; mais l'Académie est
curieuse; elle veut connaître l'ouvrage qu'elle a couronné... C'est un désir
bien naturel!...
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