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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - LIX. Mort de ma sœur. — Mort de ma femme. — Ses obsèques. — L’Odéon. — Ma position dans le monde musical. — La presque impossibilité pour moi de braver au théâtre les haines que j’ai suscitées. — La cabale de Covent-Garden. — La coterie du Conservatoire de Paris. — La symphonie rêvée et oubliée. — Le charmant accueil qu’on me fait en Allemagne. — Le roi de Hanovre. — Le duc de Weimar. — L’intendant du roi de Saxe. — Mes adieux. (1/6) > LIX. Mort de ma sœur. — Mort de ma femme. — Ses obsèques. — L’Odéon. — Ma position dans le monde musical. — La presque impossibilité pour moi de braver au théâtre les haines que j’ai suscitées. — La cabale de Covent-Garden. — La coterie du Conservatoire de Paris. — La symphonie rêvée et oubliée. — Le charmant accueil qu’on me fait en Allemagne. — Le roi de Hanovre. — Le duc de Weimar. — L’intendant du roi de Saxe. — Mes adieux. (1/6) LIX
Mort de ma sœur. — Mort de ma femme. — Ses obsèques. — L’Odéon. — Ma
position dans
le monde musical. — La presque impossibilité pour moi de braver au théâtre les
haines
que j’ai suscitées. — La cabale de Covent-Garden. — La coterie du Conservatoire
de Paris. — La symphonie rêvée et oubliée. — Le charmant accueil qu’on me fait en
Allemagne. — Le roi de Hanovre. — Le duc de Weimar. — L’intendant du roi de Saxe. — Mes
adieux.
J’ai hâte d’en finir avec ces mémoires, leur rédaction
m’ennuie et me fatigue presque autant que celle d’un feuilleton; d’ailleurs
quand j’aurai écrit les quelques pages que je veux écrire encore, j’en aurai dit
assez, je pense, pour donner une idée à peu près complète des principaux
événements de ma vie et du cercle de sentiments, de travaux et de chagrins dans
lequel je suis destiné à tourner... jusqu’à ce que je ne tourne plus.
La route qui me reste à parcourir, si longue qu’on la
suppose, doit sûrement ressembler beaucoup à celle que j’ai parcourue; j’y
trouverai partout les mêmes profondes ornières, les mêmes cailloux raboteux, les
mêmes terrains défoncés, traversés çà et là par quelque clair ruisseau, ombragés
de quelque bosquet paisible, surmontés de quelque roche sublime que je gravirai
à grand-peine, pour aller sécher au soleil couchant la froide pluie subie dans
la plaine dès le matin.
Les choses et les hommes changent cependant, il est
vrai, mais si lentement que ce n’est pas dans le court espace de temps embrassé
par une existence humaine que ce changement peut être perceptible. Il me
faudrait vivre deux cents ans pour en ressentir le bienfait.
J’ai perdu ma sœur aînée, Nanci. Elle est morte d’un
cancer au sein, après six mois d’horribles souffrances qui lui arrachaient nuit
et jour des cris déchirants. Mon autre sœur, ma chère Adèle, qui s’était rendue
à Grenoble pour la soigner et qui ne l’a pas quittée jusqu’à sa dernière heure,
a failli succomber aux fatigues et aux cruelles impressions que lui a causées
cette lente agonie.
Et pas un médecin n’a osé avoir l’humanité de mettre fin
à ce martyre, en faisant respirer à ma sœur un flacon de chloroforme. On fait
cela pour éviter à un patient la douleur d’une opération chirurgicale qui dure
un quart de minute, et on s’abstient d’y recourir pour le délivrer d’une torture
de six mois. Quand il est prouvé, certain, que nul remède, rien, pas même le
temps, ne peut guérir un mal affreux; quand la mort est évidemment le bien
suprême, la délivrance, la joie, le bonheur!...
Mais les lois sont là qui le défendent, et les idées
religieuses qui s’y opposent non moins formellement.
Et ma sœur, sans doute, n’eût pas consenti à se délivrer
ainsi si on le lui eût proposé. « Il faut que la volonté de Dieu soit faite. »
Comme si tout ce qui arrive n’arrivait pas par la volonté de Dieu... et comme si
la délivrance de la patiente, par une mort douce et prompte, n’eût pas été aussi
bien le résultat de la volonté de Dieu que son exécrable et inutile torture...
Quels non-sens que ces questions de fatalité, de
divinité, de libre arbitre, etc.!! c’est l’absurde infini; l’entendement humain
y tournoie et ne peut que s’y perdre.
En tout cas, la plus horrible chose de ce monde, pour
nous, êtres vivants et sensibles, c’est la souffrance inexorable, ce sont les
douleurs sans compensation possible arrivées à ce degré d’intensité; et il faut
être ou barbare ou stupide, ou l’un et l’autre à la fois, pour ne pas employer
le moyen sûr et doux dont on dispose aujourd’hui pour y mettre un terme. Les
sauvages sont plus intelligents et plus humains.
Ma femme aussi, est morte, mais au moins sans grandes
douleurs. La pauvre Henriette paralysée depuis quatre ans, et privée du
mouvement et de la parole, s’est éteinte à Montmartre sous mes yeux le 3 mars
1854. Mon fils avait heureusement pu obtenir un congé et venir de Cherbourg
passer quelques heures auprès d’elle. Il était reparti depuis quatre jours
seulement quand elle a expiré. Cette entrevue a donné quelque douceur à ses
derniers moments, et un hasard favorable a voulu que je ne fusse pas absent de
France à cette époque.
Je l’avais quittée depuis deux heures... une des femmes
qui la servaient court à ma recherche, me ramène... tout était fini... son
dernier soupir venait de s’exhaler. Elle était déjà couverte du drap fatal que
j’ai dû écarter pour baiser son front pâle une dernière fois. Son portrait, que
je lui avais donné l’année précédente, portrait fait au temps de sa splendeur,
me la montrait éblouissante de beauté et de génie, à côté de ce lit funèbre où
elle gisait défigurée par la maladie.
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