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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M. Humbert Ferrand. Cinquième lettre. Prague. (3/3) > A M. Humbert Ferrand. Cinquième lettre. Prague. (3/3) 7o Les sax-horns et les cornets à
pistons devraient être également enseignés dans notre Conservatoire, puisqu’ils
sont maintenant, les cornets surtout, d’un usage général.
8o L’enseignement de la famille entière des
instruments à percussion n’existe pas. Y a-t-il pourtant un seul orchestre en
Europe, petit ou grand, qui n’ait pas un timbalier ? Non, tous les orchestres
ont un homme appelé de ce nom : mais combien compte-t-on de timbaliers
véritables, c’est-à-dire d’artistes musiciens familiers avec toutes les
difficultés du rhythme, possédant à fond le mécanisme (bien moins aisé qu’on ne
le croit) de cet instrument et doués d’une oreille assez exercée pour pouvoir le
bien accorder et en changer l’accord avec certitude, même pendant
l’exécution d’un morceau et au milieu de la rumeur harmonique de l’orchestre ?
Combien compte-t-on de pareils timbaliers ? Je déclare qu’après celui de l’Opéra
de Paris, M.
Poussard, je n’en connais pas plus de trois dans toute l’Europe. Et vous
savez combien de différents orchestres il m’a été permis d’examiner depuis neuf
ou dix ans. La plupart des timbaliers que j’ai rencontrés ne savaient pas même
tenir leurs baguettes, et se trouvaient conséquemment dans l’impossibilité
d’exécuter un véritable trémolo ou roulement. Or, un timbalier qui ne sait pas
faire le roulement serré dans toutes les nuances, n’est bon à rien.
Il devrait donc y avoir dans les conservatoires une
classe d’instruments à percussion, où de très-bons musiciens apprendraient à
fond l’usage des timbales, du tambour de basque et du tambour militaire.
L’habitude aujourd’hui intolérable, et que Beethoven et quelques autres ont déjà
abandonnée, de traiter avec négligence ou d’une façon grossière autant
qu’inintelligente les instruments à percussion, a sans doute contribué à
maintenir si longtemps une opinion qui leur est défavorable. De ce que les
compositeurs ne les avaient employés jusqu’ici qu’à produire des bruits, plus ou
moins inutiles ou désagréables, ou à marquer platement les temps forts de la
mesure, on en avait conclu qu’ils n’étaient propres qu’à cela, qu’ils n’avaient
pas d’autre mission à remplir dans l’orchestre, pas d’autres prétentions à
élever, et qu’il n’était nécessaire, par conséquent, ni d’en étudier
soigneusement le mécanisme, ni d’être véritablement musicien pour en jouer. Or,
il faut maintenant des musiciens très-forts pour exécuter même certaines parties
de cymbales ou de grosse caisse dans les compositions modernes. Et ceci m’amène
directement à signaler une autre lacune, la plus fâcheuse, peut-être, dans
l’enseignement de tous les conservatoires, y compris celui de Paris.
9o Il n’y a pas de classe de
rhythme, consacrée à rompre tous les élèves sans exception, chanteurs ou
instrumentistes, aux difficultés diverses de la division du temps. De là cette
insupportable tendance de la plupart des musiciens français et italiens à
marquer les temps forts de la mesure, et à tout ramener à une phraséologie
monotone; de là l’impossibilité où la plupart d’entre eux se trouveraient
d’exécuter avec quelque finesse des compositions écrites dans le style syncopé,
telles, par exemple, que les airs charmants (déclarés bizarres chez nous)
populaires en Espagne. Les chanteurs italiens et français sont à mille lieues de
pouvoir jouer avec le rhythme, et lorsque l’occasion se présente pour eux
de le tenter, ils éprouvent un embarras, ils montrent une maladresse et une
lourdeur, qui font résulter de leur tentative un mauvais effet musical au lieu
d’un bon. De là leur haine pour tout ce qui n’est pas carré, disent-ils,
c’est-à-dire, très-souvent, plat. De là les idées puériles et risibles
qu’ils se font de la carrure, et l’étonnement que leur causent toutes les
mélodies dont la forme et l’accent diffèrent de l’accent et de la forme
invariablement adoptés en France et en Italie. De là cette mollesse des
exécutants en général, habitués à être soutenus et guidés par des divisions de
temps et une accentuation toujours prévues, comme le sont les enfants qui ne
savent pas encore marcher, par les supports de leur petit chariot à quatre
roues. Les symphonies de Beethoven ont violemment arraché un grand nombre de nos
instrumentistes parisiens à ces puériles habitudes, en leur donnant en outre du
goût pour les rhythmes piquants et originaux. Mais rien de pareil n’ayant été
essayé pour interrompre le sommeil des chanteurs, faire circuler le sang dans
leurs veines, les accoutumer à l’attention, à l’adresse et à la
vivacité des mouvements, il s’ensuit que leur engourdissement continue et
qu’il faudra, pour les en tirer, les soumettre longtemps à un traitement
particulier. C’est donc pour eux surtout qu’il y aurait grand avantage à créer
une classe de rhythme, dont un nombre immense d’instrumentistes
d’ailleurs, pourraient aussi faire leur profit.
l0o Un conservatoire
complet, et
jaloux de conserver la tradition des faits intéressants, des œuvres
remarquables que nous a légués le passé, et des diverses révolutions de l’art,
devrait avoir une chaire d’histoire de la musique, qui maintiendrait dans
l’école la connaissance raisonnée des productions de nos devanciers, non
seulement par un enseignement verbal et écrit, mais par des exécutions
démonstratives, fidèles et soignées, des belles œuvres dont il s’agirait de
perpétuer le souvenir. On ne verrait pas alors des élèves, même de mérite,
demeurer, à l’égard des plus magnifiques productions de grands maîtres encore
existants, ignorants comme des Hottentots; et le goût des musiciens ainsi
éclairé serait tout autre, et leurs idées deviendraient plus grandes, plus
élevées qu’elles ne le sont, et nous compterions enfin dans la pratique de la
musique plus d’artistes que d’artisans.
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