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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - LII. Je mets en scène le Freyschütz à l’Opéra. — Mes récitatifs. — Les chanteurs. — Dessauer. — M. Léon Pillet. — Ravages faits par ses successeurs dans la partition de Weber. (1/3) > LII. Je mets en scène le Freyschütz à l’Opéra. — Mes récitatifs. — Les chanteurs. — Dessauer. — M. Léon Pillet. — Ravages faits par ses successeurs dans la partition de Weber. (1/3) LI
Je mets en scène le Freyschütz à l’Opéra. — Mes récitatifs. — Les
chanteurs. — Dessauer. — M. Léon Pillet. — Ravages faits par ses successeurs
dans la partition de Weber.
Je revenais de cette longue pérégrination en Allemagne, quand
M. Pillet, directeur de l’Opéra, forma le projet de mettre en scène le
Freyschütz. Mais dans cet ouvrage les morceaux de musique sont précédés et
suivis d’un dialogue en prose, comme dans nos opéras-comiques, et les usages de
l’opéra exigeant que tout soit chanté, dans les drames ou tragédies lyriques de
son répertoire, il fallait mettre en récitatifs le texte parlé. M. Pillet me
proposa cette tâche :
« — Je ne crois pas, lui répondis-je, qu’on dût ajouter au
Freyschütz les récitatifs que vous me demandez; cependant puisque c’est la
condition sans laquelle il ne peut être représenté à l’Opéra, et comme si je ne
les écrivais pas vous en confieriez la composition à un autre moins familier,
peut-être, que je ne le suis avec Weber, et certainement moins dévoué que moi à
la glorification de son chef-d’œuvre, j’accepte votre offre, à une condition :
le Freyschütz sera joué absolument tel qu’il est, sans rien changer dans
le livret ni dans la musique.
— C’est bien mon intention, répliqua M. Pillet; me croyez-vous capable de
renouveler les scandales de Robin des Bois ?
— Très-bien. En ce cas je vais me mettre à l’œuvre. Comment comptez-vous
distribuer les rôles ?
— Je donnerai le rôle d’Agathe à Mme Stoltz, celui d’Annette à Mlle
Dobré, Duprez chantera Max.
— Je parie que non, dis-je en l’interrompant.
— Pourquoi donc ne le chanterait-il pas ?
— Vous le saurez bientôt.
— Bouché fera un excellent Gaspar.
— Et pour l’Ermite qui avez-vous ?
— Oh!... répondit M. Pillet avec embarras, c’est un rôle inutile, qui fait
longueur, mon intention serait de faire disparaître toute la partie de l’ouvrage
dans laquelle il figure.
— Rien que cela ? C’est ainsi que vous entendez respecter le Freyschütz
et ne pas imiter M. Castil-Blaze!... Nous sommes fort loin d’être d’accord;
permettez que je me retire, il m’est impossible de me mêler en rien à cette
nouvelle correction.
— Mon Dieu! que vous êtes entier dans vos opinions! Eh bien! on gardera
l’Ermite, on conservera tout, je vous en donne ma parole. »
Émilien Paccini qui devait traduire le livret allemand,
m’ayant, lui aussi, donné cette assurance, je consentis non sans méfiance à me
charger de la composition des récitatifs. Le sentiment qui m’avait porté à
exiger la conservation intégrale du Freyschütz, sentiment que beaucoup de
gens qualifiaient de fétichisme, enlevait ainsi tout prétexte aux remaniements,
dérangements, suppressions et corrections auxquels on n’eût pas manqué de se
livrer avec ardeur. Mais il devait aussi résulter de mon inflexibilité un
inconvénient grave : le dialogue parlé, mis tout entier en musique, parut trop
long, malgré les précautions que j’avais prises pour le rendre aussi rapide que
possible. Jamais je ne pus faire abandonner aux acteurs leur manière lente,
lourde et emphatique de chanter le récitatif; et dans les scènes entre Max et
Gaspard principalement, le débit musical de leur conversation essentiellement
simple et familière, avait toute la pompe et la solennité d’une scène de
tragédie lyrique. Cela nuisit un peu à l’effet général du Freyschütz, qui
néanmoins obtint un éclatant succès. Je ne voulus pas être nommé comme auteur de
ces récitatifs, où les artistes et les critiques trouvèrent pourtant des
qualités dramatiques, un mérite spécial, celui du style, qui,
disaient-ils, s’harmoniait parfaitement avec le style de Weber, et une réserve
dans l’instrumentation que mes ennemis eux-mêmes furent forcés de reconnaître.
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