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ARGOT MUSICAL - Violon. > Violon. Violon. — « On appelle violon, à Paris, et aujourd'hui dans beaucoup de
départements, une prison que chaque section a dans son enceinte, pour enfermer
ceux qu'on arrête la nuit et qui sont, le lendemain, transférés dans une maison
d'arrêt. » (Guadet. Mémoires de Buzot.)
Il est peu de mots sur lesquels se soit autant exercée l'imagination des
commentateurs.
Le peuple de Paris, dit l'un, gouailleur par bécarre, par bémol et par
nature, se sera écrié un jour en regardant la prison préventive, où il expie
maintes peccadilles: « C'est là qu'on la danse, ou c'est là qu'on me fait danser,
et cette idée ayant éveillé en lui celle de l'instrument contre-dansier par
excellence, il aura appelé ironiquement violon cette cellule où il va
quelquefois passer la nuit comme au bal1.
Pour être mis au violon, dit un autre, il faut y être conduit; or, conduit au
violon signifie conduit avec un violon, par antiphrase et moquerie, parce dans
les villages on mène la noce avec un violon.
Jadis, hasarde un autre
commentateur, le violon s'appelait rebec; et comme d'ordinaire ceux qu'on
conduit en prison se rebecquent, on a dit qu'on les mettait au violon.
Du tout, s'écrie un quatrième; sachez que dans la prison se trouve toujours une
lucarne garnie de quatre barreaux, rappelant les cordes tendues sur le violon.
Erreur, messieurs, fait un cinquième, Être mis au violon est une allusion à la
danse des morts conduits, vous le savez, par le sinistre violoneux camard.
As-tu fini? clame un intrus. On appelle la prison un violon parce que jadis on y
était conduit par un archer.
A côté de ces conjectures fantaisistes, il y a le commentaire grave et précis,
avec fable à la clef. Ce document fait remonter au temps de Louis XI2
l'expression de mettre au violon. Il paraît qu'à cette époque, les nombreux
plaideurs qui assiégeaient le palais de justice faisaient un tel tapage dans la
salle des pas-perdus, qu'ils troublaient Thémis dans son sommeil. Un bailli du
palais, nommé Viole, fit
enfermer les plus tapageurs dans une salle de la conciergerie. Seulement,
l'excellent bailli, en sa qualité de Viole, ordonna qu'un Violon restât
constamment suspendu aux murs de la prison, afin que les captifs de quelques
heures pussent se divertir honnêtement. On dit même que Lulli daigna un jour
honorer les prisonniers de sa présence et qu'ayant décroché le Violon de Viole,
il leur joua un air d'Orphée qui radoucit à un tel point les plus violents
qu'ils jurèrent de ne plus violer le règlement.
Dans ses Récréations philologiques, F. Génin prétend que mettre au violon
dérive d'une expression usitée au moyen âge : mettre au psaltérion, c'est-à-dire
« mettre en pénitence, en lieu où l'on a tout le temps de méditer sur ses
sottises, de s'en repentir et de réciter une sept psaumes. »
Le bon peuple Gaulois, ajoute le même commentateur, aura si bien tenu à cette
expression équivoque que « voyant le psaltérion passer de mode, il a baptisé la
prison transitoire du nom de l'instrument qui avait remplacé le psaltérion dans
la faveur publique : le violon. Les tapageurs nocturnes, ramassés par le guet du
moyen âge, allaient passer la nuit au psaltérion; au XIXe siècle, ils vont la
passer au violon, mais, ajoute le philologue, je crois qu'il leur arrive
rarement d'y réciter une sept psaumes. »
Quelque ingénieuses que soient toutes ces conjectures, elles nous semblent
néanmoins pécher par
la base. Ce n'est pas le lieu de détention, mais le détenu lui-même que les
commentateurs auraient dû prendre pour objectif. C'est le prisonnier et non pas
la prison qui joue le rôle de violon.
La plupart des gens qu'on dépose au violon se font pincer à la suite de rixes
qui ont lieu à la sortie des bals et des cabarets, rixes dont la gamme argotique
: Donner le bal, flanquer une valse, administrer une frotteska, etc., semble un
écho des bruits du bastringue.
Poussant donc la comparaison jusqu'au bout, la police fait jouer à ces tapageurs
nocturnes le rôle du violon que le ménétrier empoigne, après la danse, pour le
mettre au clou ou l'enfermer dans sa boîte, le coffrer.
Remarquons que ces deux argotismes coffrer et mettre au clou sont encore, de nos
jours, les synonymes de mettre au violon, ou plutôt mettre en violon, ainsi
qu'on a dû le dire primitivement3.
1. Les maîtres à danser du XVIIIe siècle avaient pour enseigne un violon, avec
cet écriteau : « Céans on danse »
2. Galeries du palais de justice de Paris. A. de Bast.
3. Dans le violon militaire, appelé grosse caisse, c'est également le prisonnier
qui remplit le rôle de l'instrument; autrement l'argotisme serait inexplicable.
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