Écoutez, se disent les dilettantes, épiant avec anxiété l'ut de poitrine qui va
s'échapper du larynx du ténor, il va le donner!...
Cl. Caraguel a spirituellement analysé la lutte qui se livre dans l'esprit du
chanteur, quand ce quart-d'heure de Rabelais lyrique a sonné.
« Le ténor. -- Voyons, est-il bien nécessaire que je donne ce terrible ut?
Le public. -- Dam! c'est une tradition.
Le ténor. -- Oui, mais cette tradition me semble (sauf erreur) absurde. La
musique de Rossini n'en est pas plus belle.
Le public. -- Non certainement.
Le ténor. -- L'ut n'y serait pas que personne ne regretterait son absence.
Le public, -- C'est juste, mais enfin il y est.
Le ténor. -- Oui, il y est et je ne m'en aperçois que trop aux efforts qu'il me
coûte.
Le public. -- Croyez-vous donc que je ne souffre pas, moi aussi, de votre
fatigue?
Le ténor. -- Eh bien, en ce cas, supprimons-le d'un commun accord.
Le public. --- Bah! c'est convenu.
Le ténor. -- C'est que si je supprime l'ut de
poitrine, on croira que je n'ai pas les poumons assez forts pour le donner et me
voilà perdu d'honneur,
Le public. -- Alors, donnez-le.
Le ténor. -- Cela vous est facile à dire; il y a des moments où il ne veut pas
sortir.
Le public. -- Alors, ne le donnez pas.
Le ténor. -- Et mon honneur de ténor! Funeste perplexité!
Le public. -- Donnez-le, si vous voulez; ne le donnez pas, si vous ne voulez pas,
mais, pour Dieu, terminons l'Opéra, il est près de minuit. »
(Le Charivari, 1852.)