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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Une soirée heureuse (4/4) > Une soirée heureuse (4/4)

— Tu ne l'as pas dit explicitement, mais c'est le fond de ta pensée, poursuivit R... qui se passionnait de plus en plus. Pour admettre que Beethoven ait combiné le plan d'une symphonie en l'honneur de Bonaparte, il faudrait admettre qu'il n'eût pas été de force à créer autre chose qu'une de ces œuvres de commande qui, dès leur naissance, portent l'empreinte de la mort (1). Mais  il s'en faut du tout au tout pour que la Sinfonia eroïca confirme une telle assertion. Au contraire, si c'eût été là le problème que l'artiste se fût imposé, il l'aurait bien mal résolu. Dis-moi, je te prie, où, quand, dans quel passage de cette composition trouves-tu le moindre trait qui puisse se rattacher, même de loin, au but supposé du compositeur de peindre tel ou tel moment de la carrière glorieuse du jeune capitaine ? Pourquoi la marche funèbre; le scherzo avec les cors de chasse ; le finale avec cet adagio si doux, si plein de sensibilité et de mélancolie? Où est le pont de Lodi ? Où sont la bataille d'Arcole, la marche sur Léoben, la victoire près des Pyramides, le 18 brumaire? Quel compositeur eût passé sous silence de pareils moments, dès qu'il se serait proposé d'écrire une symphonie biographique de Bonaparte ? Mais, en vérité, Beethoven avait un but bien différent. Je vais te communiquer mes idées à cet égard. La plus petite composition musicale naît toujours dans l'esprit de l'auteur sous l'influence de quelque émotion, qui, à l'heure créatrice, s'empare de tout son être. Que l'inspiration soit déterminée par quelque impulsion extérieure, ou qu'elle jaillisse d'une source intime et mystérieuse ; qu'elle se manifeste sous la forme de mélancolie, de joie, de désir, de sensation de bien-être, d'amour ou de haine, elle provoquera constamment chez le compositeur quelque formation musicale, et se résoudra d'elle-même en sons, avant même que ces sons n'aient été arrêtés par la volonté de l'artiste. Que l'émotion soit énergique, passionnée, continue ; qu'elle détermine pendant des mois, des années la direction de nos sentiments et de nos. idées, elle amènera la naissance d'oeuvres plus larges, à dimensions plus vastes, telles, par exemple, que la Sinfonia eroïca. De pareilles dispositions d'âme, qu'elles se manifestent comme souffrances intérieures, ou avec le caractère de la force et du courage, prennent toujours leur source dans quelque événement extérieur, car nous sommes hommes, et notre destinée est régie par tout ce qui nous entoure. Mais ces émotions, au moment où elles forcent le compositeur à produire, se trouvent déjà converties en musique, en sorte qu'aux heures de création, ce n'est pas l'événement extérieur en lui-même, mais bien le sentiment qu'il a éveillé, qui provoqué la naissance de l'œuvre musicale. Or, quelle apparition plus digne d'enflammer et de nourrir l'enthousiasme sympathique du génie ardent de Beethoven, que celle du demi-dieu qui brisait un monde pour en reconstruire un nouveau de sa main? Qu'on se figure quelle devait être l'émotion du musicien qui, lui-même, était un héros à sa manière, quand il suivait d'exploit en exploit, de victoire en victoire, l'homme prodigieux dont tout le monde, ami ou ennemi, parlait avec la même admiration ! A cela il faut ajouter que Beethoven était républicain; qu'il rêvait un état social où tous les hommes jouiraient à jamais d'une félicité égale, et que c'était de Bonaparte qu'il attendait la réalisation de ses rêves. Comme le sang devait bouillonner dans ses veines ! Quelles flammes devait jeter son noble cœur, quand, de quelque côté qu'il se retournât pour consulter sa muse, il entendait toujours retentir ce nom glorieux! Oh! alors, sans doute, lui aussi devait se sentir pressé de prendre un essor extraordinaire ; lui aussi, il avait la puissance et l'énergie qui fait le héros, et il voulait s'illustrer par quelque grand exploit. Il ne commandait pas d'armée, mais, dans la région de l'art, il voyait s'ouvrir devant lui un domaine où il pouvait accomplir de grandes choses, comme Bonaparte en avait accompli dans les plaines de l'Italie. Ce fut dans cet état de surexcitation musicale que Beethoven conçut une œuvre comme jamais on n'en avait conçu avant lui : la Sinfonia eroïca. Et comprenant très bien à quelle influence il était redevable de cette création gigantesque, il écrivit sur la première page : Bonaparte, En vérité, cette symphonie n'est-elle pas un aussi grand témoignage de la puissance créatrice de l'esprit humain, que les plus glorieuses victoires de Bonaparte? Et pourtant, je le demande, toute cette composition offre-t-elle le moindre indice de quelque connexité immédiate avec la destinée du héros, qui d'ailleurs n'était point encore parvenu alors à toute la gloire que l'avenir lui réservait ? J'ai le bonheur de n'admirer dans cette symphonie qu'un monument gigantesque de l'art, de me sentir élevé et fortifié par la mâle énergie qu'elle respire, et qui me gonfle la poitrine quand j'écoute ces fiers et sublimes accords, et je laisse à d'autres plus savants que moi le plaisir d'interpréter les hiéroglyphes mystérieux de cette partition, et d'y retrouver les batailles de Rivoli et de Marengo.

L'air fraîchissait de plus en plus ; le garçon venait de rapporter le bol de punch qu'il avait fait réchauffer ; je remplis les verres, et je tendis la main à mon ami.

— Nous sommes d'accord, lui dis-je, comme nous le sommes toujours toutes les fois qu'il s'agit des questions les plus intimes de l'art. Quelle que soit d'ailleurs la mesure de notre talent, nous ne mériterions pas le nom d'artiste, si nous pouvions tomber dans les erreurs grossières que tu viens de relever. Ce que la musique exprime, est éternel, infini et idéal ; elle ne peint point la passion, l'amour, le désir de tel ou tel individu dans une situation donnée ; elle peint la passion, l'amour, le désir en général, dans l'innombrable variété de nuances, motivées par sa nature particulière,  et qui sont étrangères et inaccessibles à toute autre langue : libre à chacun d'en jouir selon sa force et sa capacité.
— Et moi, interrompit mon ami avec enthousiasme, je jouis aujourd'hui de la joie, du bonheur dont les pressentiments d'un monde meilleur ont inondé mon cœur, pendant que j'écoutais les merveilleuses révélations de Mozart et de Beethoven. Vive le bonheur ! vive la joie ! vive le courage qui nous enflamme dans la lutte contré notre destinée ! Vive la victoire que, dans la conscience d'un but élevé, nous remportons sur l'ignoble vulgaire! Vive l'amour qui récompense notre courage! vive l'amitié qui soutient notre foi! vive l'espérance qui se marie à nos pressentiments! vive le jour! vive la nuit! Gloire au soleil! gloire aux astres ! trois fois gloire à la musique et à ses grands-prêtres! Adoration éternelle à Dieu, au Dieu de la joie et du bonheur, au Dieu qui créa la musique ! Ainsi soit-il.

Bras desssus, bras dessous, nous nous dirigeâmes vers nos demeures ; nous nous serrions la main sans prononcer une parole.

(1) Il y a huit ans, à l'époque où cette conversation eut lieu, mon ami R... ne pouvait connaître la symphonie de Berlioz pour la translation des victimes de Juillet.

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