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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - De l'ouverture (4/4) > De l'ouverture (4/4)

On ne peut donner, pour cette manière de concevoir l'ouverture, d'exemple plus clair et plus beau que l'ouverture d'Iphigénie en Aulide de Gluck. Essayons de démontrer plus particulièrement, d'après cette composition, quelle est la meilleure façon de procéder dans la construction d'une ouverture. Ici encore, comme dans celle de Don Juan, c'est la lutte de deux éléments ennemis qui produit le mouvement du morceau. Le drame même d'Iphigénie se compose de ces deux éléments. L'armée des héros grecs est convoquée et réunie pour l'accomplissement d'une grande entreprise commune : animée d'une seule idée, l'exécution de ce grand dessein, tout intérêt humain disparaît devant cet intérêt unique de la masse. A cet intérêt colossal est opposé un seul intérêt privé, la conservation d'une seule vie humaine, le salut d'une tendre jeune fille. Avec quelle vérité caractéristique Gluck n'a-t-il pas personnifié musicalement ces éléments ennemis! Avec quelles sublimes dimensions ne les a-t-il pas mesurés et opposés l'un à l'autre dans l'ouverture, à ce point que dans cette opposition seule résident tout d'abord la lutte et, par conséquent, le mouvement. On peut reconnaître à sa vigueur imposante, dans l'unisson de fer de l'allégro, la masse réunie pour un intérêt unique. C'est avec attendrissement qu'on reconnaît ensuite, dans le tendre et touchant contraste, l'individu souffrant qui doit être sacrifié à la masse.

L'œuvre musicale ainsi animée par le contraste de ces mêmes éléments nous donne immédiatement l'idée la plus grande de la tragédie grecque, et remplit tour à tour nos cœurs d'admiration et de pitié. Nous sommes donc préparés par un sentiment surexcité et sublime ; nous recevons même une intelligence supérieure pour voir se développer devant nous l'action dramatique. Puisse ce magnifique exemple servir, à l'avenir, de règle pour la composition de l'ouverture, et montrer en même temps combien une simplicité grandiose dans le choix des motifs musicaux est faite avant tout pour donner la plus réelle et la plus prompte intelligence des vues les plus élevées de l'artiste ! Combien, au contraire, ce résultat eût été plus difficile à obtenir si, au milieu de la lutte de ces éléments principaux telle que Gluck l'a peinte dans son ouverture, on eût introduit toutes sortes de motifs accessoires destinés à exprimer telle ou telle circonstance secondaire du drame, qui auraient disparu dans la masse ou bien morcelé et affaibli l'impression immédiate! Malgré cette simplicité dans les moyens d'entraînement, on peut donner encore un vaste champ dramatique au développement musical des idées dominantes dans l'ouverture. Il ne s'agit pas, à la vérité, de cette sorte d'action qu'on ne peut trouver que dans le drame même, mais de celle qui réside dans l'essence de la musique instrumentale. Quand vous traiterez musicalement deux idées dominantes, vous ferez presque toujours naître une sorte d'attraction ardente vers un point culminant. La conclusion devient même souvent indispensable, car tout combat doit finir par une victoire, par une défaite, ou par une conciliation. Or, comme c'est la lutte des principes qui produit surtout la vie dramatique, on peut donner déjà dans l'ouverture, comme conclusion dramatique, le résultat de ce combat dont la peinture est fort bien dans les moyens de l'art musical. C'est de ce point de vue qu'ont été conçues la plupart des ouvertures de Cherubini, Beethoven et Weber. Dans l'ouverture des Deux Journées, cette importante crise est peinte avec la plus grande décision. Les ouvertures de Fidelio, d'Egmont, de Coriolan, ainsi que celle du Freischütz, expriment clairement et fort bien le résultat d'un violent combat. Les points de repère pour l'intelligence du sujet dramatique résideraient donc dans le caractère des deux thèmes principaux ainsi que dans le mouvement que donne à ces motifs le travail musical inspiré par l'idée de la lutte. Ce travail, d'ailleurs, n'en doit pas moins être purement musical, et l'allure ne doit jamais être modelée sur la marche des événements du drame même, parce qu'une pareille manière de procéder détruirait l'indépendance de la production musicale.

Le problème le plus élevé dans cette manière modifiée de. concevoir l'ouverture consiste donc à rendre avec des principes musicaux indépendants l'idée caractéristique du drame, et à la conduire vers une conclusion telle qu'on puisse y reconnaître la solution du problème scénique. Le compositeur travaille fort heureusement pour l'intelligence de l'intention dramatique, quand il sait enchâsser dans son ouverture des motifs caractéristiques, des dessins ou des rythmes qui sont empruntés à l'opéra. Ces éléments doivent alors offrir une signification importante, et non un mérite purement accidentel. Ces motifs ou rythmes apparaîtront comme incidents indicateurs ou décisifs et de manière à pouvoir donner au mouvement du travail musical un sens précis et individuel. Mais on ne doit jamais perdre de vue qu'ils doivent être de source entièrement musicale et non emprunter leur signification aux paroles qui les accompagnent dans l'opéra. Le compositeur commettrait alors la faute de se sacrifier lui et l'indépendance de son art devant l'intervention d'un art étranger. Il faut, dis-je, que ces éléments soient de nature purement musicale, et je citerai comme exemples les accords de trombones des prêtres dans l'ouverture de la Flûte enchantée, l'appel de trompettes dans celle de Léonore, et la mélodie du cor enchanté dans celle d'Obéron. Ces motifs musicaux empruntés à l'opéra arrivent dans ces ouvertures comme moyens d'explication ou de conclusion pour l'intérêt dramatique, et servent à donner d'une manière poétique, et par les seuls moyens de l'art musical, un sens individuel à l'ouverture, ce qui tourne au profit de l'intelligence du drame.
Si l'on établit donc qu'il faut, sans sacrifier la destination spéciale de la musique, colorer par un mouvement dramatique le travail musical de l'ouverture en tant que la décision de la lutte musicale répond à la crise résultant des éléments constitutifs du drame, il faut revenir à poser cette question: le dénouement du drame ou les péripéties dans la destinée des personnages principaux doivent-ils exercer une influence immédiate sur la conception de l'ouverture, surtout à la péroraison ? Cette influence ne doit certainement être admise que d'une manière conditionnelle. L'ouverture, aussitôt qu'elle a posé ses pensées principales et ses moyens d'exécution dans le sens purement musical, peut toujours développer les principes constitutifs du drame, mais n'a rien à faire avec la destinée individuelle des personnages. Le compositeur ne doit résoudre que la question supérieure et philosophique de l'ouvrage, et exprimer immédiatement le sentiment qui s'y répand et le parcourt dans toute son étendue comme un fil conducteur. Ce sentiment arrive-t-il dans le drame à un dénouement victorieux, le compositeur n'a guère à s'occuper que de savoir si le héros de la pièce remporte cette victoire, ou s'il éprouve une fin tragique. En se plaçant à ce point de vue, il s'éloigne et s'affranchit de toutes les complications accidentelles du fait. Nulle part l'idée supérieure et tragique n'a été exprimée en musique avec plus de beauté et de noblesse que dans l'ouverture d'Egmont, de Goethe. Le destin élève ici par un coup décisif le héros au triomphe. Les derniers accents de l'ouverture, qui se montent à la sublimité de l'apothéose, rendent parfaitement l'idée dramatique, tout en formant l'œuvre la plus musicale. Le combat des deux éléments nous entraîne ici impérieusement, même dans la musique, à un dénouement nécessaire, et il est surtout de l'essence de la musique de faire apparaître cette conclusion comme un fait consolateur. Je ne connais qu'une seule exception remarquable qui contredise cette opinion, c'est l'ouverture de Coriolan. Mais si l'on étudie encore avec attention cette œuvre tragique et importante, cela s'explique, parce qu'il ne pouvait être question d'y exprimer une idée tragique qui fût généralement sentie par tous. Une sauvage arrogance qui n'a pu exciter l'intérêt et la pitié que lorsque l'excès de sa force a été brisé, forme l'élément vital de cette ouverture. Mais le maître ne s'y montre pas moins unique et inaccessible, le maître qui a créé Coriolan et Léonore ; et ce que nous devons admirer en lui avec un religieux saisissement, est souvent ce qui est le moins fait pour être imité. Ce n'est qu'en combinant tout ce qu'ont créé des génies tels que Gluck, Mozart et Beethoven, qu'on peut en composer un idéal à la portée du plus grand nombre, susceptible de nous guider aujourd'hui comme une constellation amie dans toutes les branches de l'art. Quant à les considérer isolément, chacun de ces grands hommes n'est pas imitable, et aucun d'eux n'a été atteint jusqu'à ce jour.

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