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CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - La nature et l'art (3/3) > La nature et l'art (3/3) Après avoir essayé de montrer, dans l'union de l'idéal et du réel, la loi qui
régit le progrès de l'esprit humain, il resterait à faire la contre-preuve, en
montrant où aboutit la séparation, l'isolement des deux termes.
Dans l'art, le réel seul est la servilité de la copie ; l'idéal seul est la
divagation de la chimère.
Dans la science, le réel seul est l'énigme du fait sans la lumière de sa loi ;
l'idéal seul est le fantôme de la conjecture sans sa confirmation par les faits.
Dans la morale, enfin, le réel seul est l'égoïsme de l'intérêt, ou absence de
sanction rationnelle dans le domaine de la volonté ; l'idéal seul est l'utopie,
ou absence de sanction expérimentale dans le domaine des maximes.
De tous côtés, le corps sans l'âme ou l'âme sans le corps, c'est-à-dire négation
de la loi de la vie pour l'être qui, par sa double nature, appartient à la fois
au monde sensible et au monde intelligible, et dont l'œuvre n'est complète et
normale qu'à la condition d'exprimer ces deux ordres de réalités.
S'il est un symptôme qui caractérise ces trois hautes vocations humaines, le
service du bien, du vrai et du beau, s'il est un lien qui trahisse leur commune
divinité d'origine et les élève à la dignité d'un véritable apostolat, c'est le
désintéressement, c'est la gratuité.
Les fonctions de la vie sont si étroitement soudées à celles de l'existence, que
la liberté divine de la vocation est bien obligée de subir la nécessité humaine
de la profession ; aussi les passionnés de la vie s'entendent-ils généralement
fort peu et fort mal aux choses de l'existence; mais, en soi et de leur nature,
toutes les fonctions supérieures de l'homme sont gratuites. Ni l'amour, ni la
science, ni l'art n'ont rien de commun avec une estimation vénale; ce sont les
trois personnes divines de la conscience humaine; on ne vend que ce qui meurt;
ce qui est immortel ne peut que se donner.
C'est pourquoi les œuvres du bien, du vrai et du beau défient les siècles; elles
sont vivantes de l'éternité même de leur principe.
« Ciel nouveau et nouvelle terre. »
C'est ainsi que le grand captif de Pathmos, l'aigle des évangélistes, annonce la
fin des temps, au chapitre vingt-unième de l'Apocalypse, cette vision grandiose
qui s'achève dans l'Hosannah de la Jérusalem nouvelle, la cité sainte,
descendant des hauteurs célestes, comme une fiancée parée pour son époux ».
Quels voyants sublimes que ces grands lyriques du peuple hébreu! Quels divins
que ces devins de la croissance et de la destinée humaines ! Job, David,
Salomon, les prophètes, et Paul, et Jean, l'initié aux secrets éternels et aux
insondables profondeurs de la génération infinie !
Cette Jérusalem nouvelle, cette patrie de l'élection, c'est la
sélection humaine, victorieuse des énigmes et rapportant, comme un glorieux trophée, tous les voiles
sacramentels tombés, un à un, sur la route des siècles ; c'est l'intendant
laborieux et fidèle qui entre dans la joie de « son Seigneur », et qui remet entre
les mains de son père et de son Dieu, sous la clarté resplendissante d'un « ciel
nouveau », cette « terre nouvelle », régénérée, re-créée, conformément à la loi
exprimée par cette formule suprême : « En vérité, je vous le dis, il faut que
vous naissiez de nouveau; sinon vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux !
» ***
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