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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XLVIII. L'Esmeralda de mademoiselle Bertin. — Répétitions de mon opéra de Benvenuto Cellini. — Sa chute éclatante. — L'ouverture du Carnaval romain. — Habeneck. — Duprez. — Ernest Legouvé. (2/3) > XLVIII. L'Esmeralda de mademoiselle Bertin. — Répétitions de mon opéra de Benvenuto Cellini. — Sa chute éclatante. — L'ouverture du Carnaval romain. — Habeneck. — Duprez. — Ernest Legouvé. (2/3) J'avais été vivement frappé de certains épisodes de la vie de Benvenuto Cellini
; j'eus le malheur de croire qu'ils pouvaient offrir un sujet d'opéra dramatique
et intéressant, et je priai Léon de Wailly et Auguste Barbhier, le terrible
poète des Iambes, de m'en faire un livret.
Leur travail, à en croire même nos amis communs, ne contient pas les éléments
nécessaires à ce qu'on nomme un drame bien fait. Il me plaisait néanmoins, et je
ne vois pas encore aujourd'hui en quoi il est inférieur à tant d'autres qu'on
représente journellement. Duponchel, dans ce temps-là, dirigeait l'Opéra ; il
me regardait comme une espèce de fou dont la musique n'était et ne pouvait être
qu'un tissu d'extravagances. Néanmoins pour être agréable au Journal des Débats,
il consentit à entendre la lecture du livret de Benvenuto, et le reçut en
apparence avec plaisir. Il s'en allait ensuite partout disant, qu'il montait cet
opéra, non à cause de la musique, qu'il savait bien devoir être absurde, mais à
cause de la pièce, qu'il trouvait charmante.
Il le fit mettre à l'étude en effet, et jamais je n'oublierai les tortures qu'on
m'a fait endurer pendant les trois mois qu'on y a consacrés. La nonchalance, le
dégoût évident que la plupart des acteurs, déjà persuadés d'une chute,
apportaient aux répétitions ; la mauvaise humeur d'Habeneck, les sourdes rumeurs
qui circulaient dans le théâtre ; les observations stupides de tout ce monde
illettré, à propos de certaines expressions d'un livret si différent, par le
style, de la plate et lâche prose rimée de l'école de Scribe ; tout me décelait
une hostilité générale contre laquelle je ne pouvais rien, et que je dus feindre
de ne pas apercevoir.
Auguste Barbier avait bien, par ci par là, dans les récitatifs, laissé échapper
des mots qui appartiennent évidemment au vocabulaire des injures et dont la
crudité est inconciliable avec notre pruderie actuelle ; mais croirait-on que,
dans un duo écrit par L. de Wailly, ces vers parurent grotesques à la plupart de
nos chanteurs :
« Quand je repris l'usage de mes sens
» Les toits luisaient aux blancheurs de l'aurore,
» Les coqs chantaient, etc., etc. »
« Oh ! les coqs, disaient-ils, ah! ah! les coqs! pourquoi pas les poules!
etc., etc. »
Que répondre à de pareils idiots?
Quand nous en vînmes aux répétitions d'orchestre, les musiciens, voyant l'air
renfrogné d'Habeneck, se tinrent à mon égard dans la plus froide réserve. Ils
faisaient leur devoir cependant. Habeneck remplissait mal le sien. Il ne put
jamais parvenir à prendre la vive allure du saltarello dansé et chanté sur la
place Colonne au milieu du second acte. Les danseurs ne pouvant s'accommoder de
son mouvement traînant, venaient se plaindre à moi et je lui répétais: « Plus
vite! plus vite! animez donc! » Habeneck, irrité, frappait son pupitre et
cassait cinquante archets. Enfin après l'avoir vu se livrer à quatre ou cinq
accès de colère semblables, je finis par lui dire avec un sang-froid qui
l'exaspéra :
« —Mon Dieu, monsieur, vous casseriez cinquante archets que cela n'empêcherait
pas votre mouvement d'être de moitié trop lent. Il s'agit d'un saltarello. »
Ce jour-là Habeneck s'arrêta, et se tournant vers l'orchestre :
« — Puisque je n'ai pas le bonheur de contenter M. Berlioz, dit-il, nous en
resterons là pour aujourd'hui, vous pouvez vous retirer. »
Et la répétition finit ainsi1.
l. Je ne pouvais conduire moi-même les répétitions de Cellini. En France dans les
théâtres, les auteurs n'ont pas le droit
de diriger leurs propres ouvrages.
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