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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XLVII. Exécution du Lacrymosa de mon Requiem à Lille. — Petite couleuvre pour Cherubini. — Joli tour qu'il me joue. — Venimeux aspic que je lui fais avaler. — Je suis attaché à la rédaction du Journal des Débats.— Tourments que me cause l'exercice de mes fonctions de critique. (1/3) > XLVII. Exécution du Lacrymosa de mon Requiem à Lille. — Petite couleuvre pour Cherubini. — Joli tour qu'il me joue. — Venimeux aspic que je lui fais avaler. — Je suis attaché à la rédaction du Journal des Débats.— Tourments que me cause l'exercice de mes fonctions de critique. (1/3) XLVII
Exécution du Lacrymosa de mon Requiem à Lille. — Petite couleuvre pour
Cherubini. — Joli tour qu'il me joue. — Venimeux aspic que je lui fais avaler. —
Je suis attaché à la rédaction du Journal des Débats.— Tourments que me cause
l'exercice de mes fonctions de critique.
Quelques années après la cérémonie dont je viens de raconter les péripéties, la
ville de Lille ayant organisé son premier festival, Habeneck fut engagé pour en
diriger la partie musicale. Par un de ces caprices bienveillants qui étaient
assez fréquents chez lui, malgré tout, et peut-être pour me faire oublier, s'il
était possible, sa fameuse prise de tabac, il eut l'idée de proposer au comité
du festival, entre autres fragments pour le concert, le Lacrymosa de mon
Requiem. On avait placé également dans ce programme le Credo d'une messe
solennelle de Cherubini. Habeneck fit répéter mon morceau avec un soin
extraordinaire et l'exécution, à ce qu'il paraît, ne laissa rien à désirer.
L'effet aussi en fut, dit-on, très-grand, et le Lacrymosa, malgré ses énormes
dimensions, fut redemandé à grands cris par le public. Il y eut des auditeurs
impressionnés jusqu'aux larmes. Le comité lillois ne m'ayant pas fait l'honneur
de m'inviter, j'étais resté
à Paris. Mais après le concert, Habeneck, plein de joie d'avoir obtenu un si
beau résultat avec une œuvre si difficile, m'écrivit une courte lettre ainsi
conçue ou à peu près :
« Mon cher Berlioz,
» Je ne puis résister au plaisir de vous annoncer que votre Lacrymosa
parfaitement exécuté a produit un effet immense.
» Tout à vous,
» HABENEGK.
»
La lettre fut publiée à Paris par la Gazette musicale. A son retour Habeneek
alla voir Cherubini et l'assurer que son Credo avait été très-bien rendu. « Oui! répliqua Cherubini d'un ton sec, mais vous né m'avez pas écrit à moi1! »
Petite couleuvre innocente, qui lui venait encore à propos de ce diable de
Requiem et dont il me fit très-plaisamment avaler la sœur jumelle dans la
circonstance suivante.
Une place de professeur d'harmonie étant devenue vacante au Conservatoire, un de
mes amis m'engagea à me mettre sur les rangs pour l'obtenir. Sans me bercer d'un
espoir de succès, j'écrivis néanmoins à ce sujet à notre bon directeur
Cherubini; au reçu de ma lettre, il me fit appeler :
« — Vous vous présentez pour la classe d'harmonie?... me dit-il de son air le
plus aimable et de la voix la plus douce qu'il put trouver. — Oui, monsieur. —
Ah ! c'est que... vous l'aurez cette classe... votre réputation maintenant...
vos relations...— Tant mieux, monsieur, je l'ai demandée pour l'avoir. — Oui,
mais... mais c'est que ça mé tracasse... C'est que zé voudrais la donner à ounautre.
— En ce cas, monsieur, je vais retirer ma demande. — Non, non, zé né veux pas,
parce que, voyez-vous, l'on dirait que c'est moi que zé souis la cause que vous
vous êtes retiré. — Alors je reste sur les rangs. — Mais que zé vous dis que
vous l'aurez, la place, si vous persistez et... zé né vous la destinais pas. —
Pourtant comment faire?
— Vous savez qu'il faut... il faut... il faut être pianiste pour enseigner
l'harmonie au Conservatoire, vous le savez mon ser. — Il faut être pianiste? Ah
! j'étais loin de m'en douter. Eli bien, voilà une excellente raison. Je vais
vous écrire que n'étant pas pianiste je ne puis pas aspirer à professer
l'harmonie au Conservatoire, et que je retire ma demande. — Oui, mon ser. Mais,
mais, mais, zé né souis pas la cause de votre... — Non, monsieur, loin de là; je
dois tout naturellement me retirer, ayant eu la bêtise d'oublier qu'il faut
être pianiste pour enseigner l'harmonie.— Oui. mon ser. Allons, embrassez-moi.
Vous savez comme zé vous aime. — Oh! oui, monsieur, je le sais. » Et il
m'embrasse en effet, avec une tendresse vraiment paternelle. Je m'en vais, je
lui adresse mon désistement et, huit jours après, il fait donner la place à un
nommé Bienaimé qui ne joue pas plus du piano que moi.
Voilà ce qui s'appelle un tour bien exécuté! Et j'en ai ri le premier de bon
cœur.
Le lecteur doit admirer ma réserve pour n'avoir pas répondu à Cherubini : « Vous
ne pourriez donc vous même, monsieur, enseigner l'harmonie? » Car le grand
maître, lui non plus, n'était pas du tout pianiste.
1. Je lui avais bien dit qu’il
saurait mon nom quelque jour.
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