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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XLIV. La censure papale. — Préparatifs de concerts. — Je reviens à Paris. — Le nouveau théâtre anglais. — Fétis. — Ses corrections des symphonies de Beethoven. — On me présente à miss Smithson. — Elle est ruinée. — Elle se casse la jambe. — Je l'épouse. (3/3) > XLIV. La censure papale. — Préparatifs de concerts. — Je reviens à Paris. — Le nouveau théâtre anglais. — Fétis. — Ses corrections des symphonies de Beethoven. — On me présente à miss Smithson. — Elle est ruinée. — Elle se casse la jambe. — Je l'épouse. (3/3)

Ce premier acte d'insubordination d'un élève qui, lors de ses débuts avait pourtant été encouragé par M. Fétis, parut d'autant plus impardonnable à celui-ci qu'il y voyait, avec une tendance évidente à l'hérésie musicale, un acte d'ingratitude.

Beaucoup de gens sont ainsi faits. De ce qu'ils ont bien voulu convenir un jour que vous n'êtes pas sans quelque valeur, vous êtes par cela seul tenu de les admirer à jamais, sans restriction, dans tout ce qu'il leur plaira de faire... ou de défaire; sous peine d'être traité d'ingrat. Combien de petits grimauds se sont ainsi imaginé, parce qu'ils avaient montré un enthousiasme plus ou moins réel pour mes ouvrages, que j'étais nécessairement un méchant homme quand, plus tard, je n'ai parlé qu'avec tiédeur des plates vilenies qu'ils ont produites sous divers noms, messes ou opéras également comiques.

En partant pour l'Italie, je laissai donc derrière moi, à Paris, le premier ennemi intime acharné et actif dont je me fusse pourvu moi-même. Quant aux autres plus ou moins nombreux que je possédais déjà, je suis obligé de reconnaître que je n'avais aucun mérite à les avoir. Ils étaient nés spontanément comme naissent les animalcules infusoires dans l'eau croupie. Je m'inquiétais aussi peu de l'un que des autres. J'étais même bien plus l'ennemi de Fétis qu'il n'était le mien, et je ne pouvais, sans frémir de colère, songer à son attentat (non suivi d'effet) sur Beethoven. Je ne l'oubliai pas en composant la partie littéraire du Monodrame, et voici ce que je mis dans la bouche de Lélio, dans l'un des monologues de cet ouvrage :

« Mais les plus cruels ennemis du génie sont ces tristes habitants du temple de la Routine, prêtres fanatiques, qui sacrifieraient à leur stupide déesse les plus sublimes idées neuves, s'il leur était donné d'en avoir jamais; ces jeunes théoriciens de quatre-vingts ans, vivant au milieu d'un océan de préjugés et persuadés que le monde finit avec les rivages de leur île; ces vieux libertins de tout âge, qui ordonnent à la musique de les caresser, de les divertir, n'admettant point que la chaste muse puisse avoir une plus noble mission; et surtout ces profanateurs qui osent porter la main sur les ouvrages originaux, leur font subir d'horribles mutilations qu'ils appellent corrections et perfectionnements, pour lesquels, disent-ils il faut beaucoup de goût1. Malédiction sur eux ! Ils font à l'art un ridicule outrage! Tels sont ces vulgaires oiseaux qui peuplent nos jardins publics, se perchent avec arrogance sur les plus belles statues, et, quand ils ont sali le front de Jupiter, le bras d'Hercule ou le sein de Vénus, se pavanent fiers et satisfaits, comme s'ils venaient de pondre un œuf d'or. »

Aux derniers mots de cette tirade, l'explosion d'éclats de rire et d'applaudissements fut d'autant plus violente, que la plupart des artistes de l'orchestre et une partie des auditeurs comprirent l'allusion, et que Bocage, en prononçant il faut beaucoup de goût, contrefit le doucereux langage de Fétis fort agréablement. Or, Fétis, très en évidence au balcon, assistait à ce concert. Il reçut ainsi toute ma bordée à bout portant. Il est inutile de dire maintenant sa fureur et de quelle haine enragée il m'honora à partir de ce jour; le lecteur le concevra facilement.

Néanmoins l'acre douceur que j'éprouvais d'avoir ainsi vengé Beethoven fut complètement oubliée le lendemain. J'avais obtenu de miss Smithson la permission de lui être présenté. A partir de ce jour, je n'eus plus un instant de repos; à des craintes affreuses succédaient des espoirs délirants. Ce que j'ai souffert d'anxiétés et d'agitations de toute espèce pendant cette période, qui dura plus d'un an, peut se deviner, mais non se décrire. Sa mère et sa sœur s'opposaient formellement à notre union, mes parents de leur côté n'en voulaient pas entendre parler. Mécontentement et colère des deux familles, et toutes les scènes qui naissent en pareil cas d'une semblable opposition. Sur ces entrefaites, le théâtre anglais de Paris fut obligé de fermer ; miss Smithson restait sans ressources, tout ce qu'elle possédait ne suffisant point au payement des dettes que cette désastreuse entreprise lui avait fait contracter.

Un cruel accident vint bientôt après mettre le comble à son infortune. En descendant de cabriolet à sa porte, un jour où elle venait de s'occuper d'une représentation qu'elle organisait à son bénéfice, son pied se posa à faux sur un pavé et elle se cassa la jambe. Deux passants eurent à peine le temps de l'empêcher de tomber et l'emportèrent à demi évanouie dans son appartement.

Ce malheur auquel on ne crut point en Angleterre et qui fut pris pour une comédie jouée par la directrice du théâtre anglais afin d'attendrir ses créanciers, n'était que trop réel. Il inspira au moins la plus vive sympathie aux artistes et au public de Paris. La conduite de mademoiselle Mars à cette occasion, fut admirable; elle mit sa bourse, l'influence de ses amis, tout ce dont elle pouvait disposer au service de la poor Ophelia qui ne possédait plus rien, et qui néanmoins, apprenant un jour par sa sœur que je lui avais apporté quelques centaines de francs, versa d'abondantes larmes et me força de reprendre cet argent en me menaçant de ne plus me revoir si je m'y refusais. Nos soins n'agissaient que bien lentement; les deux os de la jambe avaient été rompus un peu au-dessus de la cheville du pied ; le temps seul pouvait amener une guérison parfaite; il était même à craindre que miss Smithson ne restât boiteuse. Pendant que la triste invalide, était ainsi retenue sur son lit de douleur, je vins à bout de mener à bien la fatale représentation qui avait causé l'accident. Cette soirée, à laquelle Liszt et Chopin prirent part dans un entr'acte, produisit une somme assez forte, qui fut aussitôt appliquée au payement des dettes les plus criardes. Enfin, dans l'été de 1833, Henriette Smithson étant ruinée et à peine guérie, je l'épousai, malgré la violente opposition de sa famille et après avoir été obligé, moi, d'en venir auprès de mes parents, aux sommations respectueuses. Le jour de notre mariage, elle n'avait plus au monde que des dettes, et la crainte de ne pouvoir reparaître avantageusement sur la scène à cause des suites de son accident; de mon côté j'avais pour tout bien trois cents francs que mon ami Gounet m'avait prêtés, et j'étais de nouveau brouillé avec mes parents... Mais elle était à moi, je défiais tout.

1. C'était un mot que j'avais recueilli de la bouche même de Fétis.

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