Accueil Nous sommes le samedi 20 avril 2024 
Rechercher sur metronimo.com avec
Google
Logiciels de Métronimo

Logiciels ludiques pour apprendre la musique. Cliquez ici pour jouer.

English Français Español

Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XXXIX. La vie du musicien à Rome. — La musique dans l'église de Saint-Pierre. — La chapelle Sixtine. — Préjugé sur Palestrina. — La musique religieuse moderne dans l'église de Saint-Louis. — Les théâtres lyriques. — Mozart et Vaccaï. — Les pifferari. — Mes compositions à Rome. (2/3) > XXXIX. La vie du musicien à Rome. — La musique dans l'église de Saint-Pierre. — La chapelle Sixtine. — Préjugé sur Palestrina. — La musique religieuse moderne dans l'église de Saint-Louis. — Les théâtres lyriques. — Mozart et Vaccaï. — Les pifferari. — Mes compositions à Rome. (2/3)

Dans ces psalmodies à quatre parties où la mélodie et le rythme ne sont point employés, et dont l'harmonie se borne à l'emploi des accords parfaits entremêlés de quelques suspensions, on peut bien admettre que le goût et une certaine science aient guidé le musicien qui les écrivit ; mais le génie! allons donc, c'est une plaisanterie.

En outre, les gens qui croient encore sincèrement que Palestrina composa ainsi à dessein sur les textes sacrés, et mû seulement par l'intention d'approcher le plus possible d'une pieuse idéalité, s'abusent étrangement. Ils ne connaissent pas, sans doute, ses madrigaux, dont les paroles frivoles et galantes sont accolées par lui, cependant, à une sorte de musique absolument semblable à celle dont il revêtit les paroles saintes. Il fait chanter par exemple : Au bord du Tibre, je vis un beau pasteur, dont la plainte amoureuse, etc., par un chœur lent dont l'effet général et le style harmonique ne diffèrent en rien de ses compositions dites religieuses. Il ne savait pas faire d'autre musique, voilà la vérité; et il était si loin de poursuivre un céleste idéal, qu'on retrouve dans ses écrits une foule de ces sortes de logogriphes que les contrepointistes qui le précédèrent avaient mis à la mode et dont il passe pour avoir été l'antagoniste inspiré. Sa missa ad fugam en est la preuve.

Or, en quoi ces difficultés de contrepoint, si habilement vaincues qu'on les suppose, contribuent-elles à l'expression du sentiment religieux ? en quoi cette preuve de la patience du tisseur d'accords annonce-t-elle en lui une simple préoccupation du véritable objet de son travail? en rien, à coup sûr. L'accent expressif d'une composition musicale n'est ni plus puissant, ni plus vrai, parce qu'elle est écrite en canon perpétuel, par exemple; et il n'importe à la beauté et à la vérité de l'expression que le compositeur ait vaincu une difficulté étrangère à leur recherche; pas plus que si, en écrivant, il eût été gêné d'une façon quelconque par une douleur physique ou un obstacle matériel.

Si Palestrina, ayant perdu les deux mains, s'était vu forcé d'écrire avec le pied et y était parvenu, ses ouvrages n'en eussent pas acquis plus de valeur pour cela et n'en seraient ni plus ni moins religieux.

Le critique allemand, dont je parlais tout à l'heure, n'hésite pas cependant à appeler sublimes les improperia de Palestrina.

« Toute cette cérémonie, dit-il encore, le sujet en lui-même, la présence du Pape au milieu du corps» des cardinaux, le mérite d'exécution des chanteurs qui déclament avec une précision et une intelligence admirables, tout cela forme de ce spectacle un des plus imposants et des plus touchants de la semaine sainte. » — Oui, certes, mais tout cela ne fait pas de cette musique une œuvre de génie et d'inspiration.

Par une de ces journées sombres qui attristent la fin de l'année, et que rend encore plus mélancoliques le souffle glacé du vent du nord, écoutez, en lisant Ossian, la fantastique harmonie d'une harpe éolienne balancée au sommet d'un arbre dépouillé de verdure, et vous pourrez éprouver un sentiment profond de tristesse, un désir vague et infini d'une autre existence, un dégoût immense de celle-ci, en un mot une forte atteinte de spleen jointe à une tentation de suicide. Cet effet est encore plus prononcé que celui des harmonies vocales de la chapelle Sixtine ; on n'a jamais songé cependant à mettre les facteurs de harpes éoliennes au nombre des grands compositeurs.

Mais, au moins, le service musical de la chapelle Sixtine a-t-il conservé sa dignité et le caractère religieux qui lui convient, tandis que, infidèles aux anciennes traditions, les autres églises de Rome sont tombées, sous ce rapport, dans un état de dégradation, je dirai même de démoralisation, qui passe toute croyance. Plusieurs prêtres français, témoins de ce scandaleux abaissement de l'art religieux, en ont été indignés.

J'assistai, le jour de la fête du roi, à une messe solennelle à grands choeurs et à grand orchestre, pour laquelle notre ambassadeur, M. de Saint-Aulaire, avait demandé les meilleurs artistes de Rome. Un amphithéâtre assez vaste, élevé devant l'orgue, était occupé par une soixantaine d'exécutants. Ils commencèrent par s'accorder à grand bruit, comme ils l'eussent fait dans un foyer de théâtre; le diapason de l'orgue, beaucoup trop bas, rendait, à cause des instruments à vent, son adjonction à l'orchestre impossible. Un seul parti restait à prendre, se passer de l'orgue. L'organiste ne l'entendait pas ainsi; il voulait faire sa partie, dussent les oreilles des auditeurs être torturées jusqu'au sang; il voulait gagner son argent, le brave homme, et il le gagna bien, je le jure, car de ma vie je n'ai ri d'aussi bon cœur. Suivant la louable coutume des organistes italiens, il n'employa, pendant toute la durée de la cérémonie, que les jeux aigus. L'orchestre, plus fort que cette harmonie de petites flûtes, la couvrait assez bien dans les tutti, mais quand la masse instrumentale venait à frapper un accord sec, suivi d'un silence, l'orgue, dont le son traîne un peu, on le sait, et ne peut se couper aussi bref que celui des autres instruments, demeurait alors à découvert et laissait entendre un accord plus bas d'un quart de ton que celui de l'orchestre, produisant ainsi le gémissement le plus atrocement comique qu'on puisse imaginer.

Pendant les intervalles remplis par le plain-chant des prêtres, les concertants, incapables de contenir leur démon musical, préludaient hautement, tous à la fois, avec un incroyable sang-froid; la flûte lançait des gammes en ; le cor sonnait une fanfare en mi bémol; les violons faisaient d'aimables cadences, des gruppetti charmants; le basson, tout bouffi d'importance, soufflait ses notes graves en faisant claquer ses grandes clefs, pendant que les gazouillements de l'orgue achevaient de brillanter ce concert inouï, digne de Gallot. Et tout cela se passait en présence d'une assemblée d'hommes civilisés, de l'ambassadeur de France, du directeur de l'Académie, d'un corps nombreux de prêtres et de cardinaux, devant une réunion d'artistes de toutes les nations. Pour la musique, elle était digne de tels exécutants. Cavatines avec crescendo, cabalettes, points d'orgue et roulades; œuvre sans nom, monstre de l'ordre composite dont une phrase de Vaccaï formait la tête, des bribes de Paccini les membres, et un ballet de Gallemberg le corps et la queue. Qu'on se figure, pour couronner l'œuvre, les soli de cette étrange musique sacrée, chantés en voix de soprano par un gros gaillard dont la face rubiconde était ornée d'une énorme paire de favoris noirs. « Mais, mon Dieu, dis-je à mon voisin qui étouffait, tout est donc miracle dans ce bienheureux pays! Avez-vous jamais vu un castrat barbu comme celui-ci? »
— « Castrato!... répliqua vivement, en se retournant, une dame italienne, indignée de nos rires et de nos observations, d'awero non e castrato!
— Vous le connaissez, madame?
Per Bacco! non burlate. Imparate, pezzi d'asino, che quel virtuoso maraviglioso é il marito mio. »

J'ai entendu fréquemment, dans d'autres églises, les ouvertures du Barbiere di Siviglia, de la Cenerentola et d'Otello. Ces morceaux paraissaient former le répertoire favori des organistes ; ils en assaisonnaient fort agréablement le service divin.

La musique des théâtres, aussi dramatique que celle des églises est religieuse, est dans le même état de splendeur. Même invention, même pureté de formes, même charme dans le style, même profondeur de pensée. Les chanteurs que j'ai entendus pendant la saison théâtrale avaient en général de bonnes voix et cette facilité de vocalisation qui caractérise1 spécialement les Italiens; mais à l'exception de madame Ungher, Prima-donna allemande, que nous avons applaudie souvent a Paris, et de Salvator, assez bon baryton, ils ne sortaient pas de la ligne des médiocrités. Les chœurs sont d'un degré au-dessous de ceux de notre Opéra-Comique pour l'ensemble, la justesse et la chaleur. L'orchestre, imposant et formidable, à peu près comme l'armée du prince de Monaco, possède, sans exception, toutes les qualités qu'on appelle ordinairement des défauts. Au théâtre Valle, les violoncelles sont au nombre de... un, lequel un exerce l'état d'orfèvre, plus heureux qu'un de ses confrères, obligé, pour vivre, de rempailler des chaises. A Rome, le mot symphonie, comme celui d'ouverture, n'est employé que pour désigner un certain bruit que font les orchestres de théâtre, avant le lever de la toile, et auquel personne ne fait attention. Weber et Beethoven sont là des noms à peu près inconnus. Un savant abbé de la chapelle Sixtine disait un jour à Mendelssohn qu'on lui avait parlé d'un jeune homme de grande espérance nommé Mozart. Il est vrai que ce digne ecclésiastique communique fort rarement avec les gens du monde et ne s'est occupé toute sa vie que des œuvres de Palestrina. C'est donc un être que sa conduite privée et ses opinions mettent à part. Quoiqu'on n'y exécute jamais la musique de Mozart, il est pourtant juste de dire que, dans Rome, bon nombre de personnes ont entendu parler de lui autrement que comme d'un jeune homme de grande espérance Les dilettanti érudits savent même qu'il est mort, et que, sans approcher toutefois de Donizetti, il a écrit quelques partitions remarquables. J'en ai connu un qui s'était procuré le Don Juan; après l'avoir longuement étudié au piano, il fut assez franc pour m'avouer en confidence que cette vieille musique lui paraissait supérieure au Zadig et Astartea de M. Vaccaï, récemment mis en scène au théâtre d'Apollo. L'art instrumental est lettre close pour les Romains. Ils n'ont pas même l'idée de ce que nous appelons une symphonie.

1. Qui caractérisait alors les Italiens.

<< Précédent

Suite >>

Rechercher dans cet ouvrage :

Imprimer cette page

Clés USB pour musiciens

Clé USB en forme de violon Cle USB en forme de clé de sol
Cle USB en forme de saxophone Cle USB en forme de guitare

Imprimez vos photos différemment
Puzzles en bois

Copyright © metronimo.com - 1999-2024 - Tous droits réservés - Déclaration CNIL 1025871