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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XXXVI. La vie de l'Académie. — Mes courses dans les Abruzzes. — Saint-Pierre. — Le spleen. — Excursions dans la campagne de Rome. — Le carnaval. — La place Navone. (2/3) > XXXVI. La vie de l'Académie. — Mes courses dans les Abruzzes. — Saint-Pierre. — Le spleen. — Excursions dans la campagne de Rome. — Le carnaval. — La place Navone. (2/3)

Parfois, quittant mon livre pour réfléchir, je promenais mes regards autour de moi; mes yeux, attirés par la lumière, se levaient vers la sublime coupole de Michel-Ange. Quelle brusque transition d'idées!!! Des cris de rage des pirates, de leurs orgies sanglantes, je passais tout a coup aux concerts des Séraphins, à la paix de la vertu, à la quiétude infinie du ciel... Puis, ma pensée, abaissant son vol, se plaisait à chercher, sur le parvis du temple, la trace des pas du noble poète...

— Il a dû venir contempler ce groupe de Canova, me disais-je ; ses pieds ont foulé ce marbre, ses mains se sont promenées sur les contours de ce bronze ; il a respiré cet air, ces échos ont répété ses paroles... paroles de tendresse et d'amour peut-être... Eh! oui! ne peut-il pas être venu visiter le monument avec son amie, madame Guiccioli1? femme admirable et rare, de qui il a été si complètement compris, si profondément aimé!!!... aimé!!!.. poète!. libre!... riche!... Il a été tout cela, lui !... Et le confessionnal retentissait d'un grincement de dents à faire frémir les damnés.

Un jour, en de telles dispositions, je me levai spontanément, comme pour prendre ma course, et, après quelques pas précipités, m'arrêtant tout à coup, au milieu de l'église, je demeurai silencieux et immobile. Un paysan entra et vint tranquillement baiser l'orteil de saint Pierre.

— Heureux bipède ! murmurai-je avec amertume que te manque-t-il ? tu crois et espères ; ce bronze que tu adores et dont la main droite tient aujourd'hui, au lieu de foudres, les clefs du Paradis, était jadis un Jupiter tonnant; tu l'ignores, point de désenchantement. En sortant, que vas-tu chercher? de l'ombre et du sommeil; les madones des champs te sont ouvertes, tu y trouveras l'une et l'autre. Quelles richesses rêves-tu?... la poignée de piastres nécessaire pour acheter un âne ou te marier, tes économies de trois ans y suffiront. Qu'est une femme pour toi?., un autre sexe.. Que cherches-tu dans l'art?... un moyen de matérialiser les objets de ton culte et de l'exciter au rire ou à la danse. A toi, la Vierge enluminée de rouge et de vert, c'est la peinture ; à toi, les marionnettes et Polichinelle, c'est le drame ; à toi, la musette et le tambour de basque, c'est la musique; à moi, le désespoir et la haine, car je manque de tout ce que je cherche, et n'espère plus l'obtenir.

Après avoir quelque temps écouté rugir ma tempête intérieure, je m'aperçus que le jour baissait. Le paysan était parti; j'étais seul dans Saint-Pierre... je sortis. Je rencontrai des peintres allemands qui m'entraînèrent dans une osteria, hors des portes de la ville, où nous bûmes je ne sais combien de bouteilles d'orvieto, en disant des absurdités, fumant, et mangeant crus de petits oiseaux que nous avions achetés d'un chasseur.

Ces messieurs trouvaient ce mets sauvage très bon, et je fus bientôt de leur avis, malgré le dégoût que j'en avais ressenti d'abord.

Nous rentrâmes à Rome, en chantant des chœurs de Weber qui nous rappelèrent des jouissances musicales auxquelles il ne fallait plus songer de longtemps... A minuit, j'allai au bal de l'Ambassadeur ; j'y vis une Anglaise, belle comme Diane, qu'on médit avoir cinquante mille livres sterling de rentes, une voix superbe et un admirable talent sur le piano, ce qui me fit grand plaisir. La Providence est juste ; elle a soin de répartir également ses faveurs! Je rencontrai d'horribles visages de vieilles, les yeux fixés sur une table d'écarté, flamboyants de cupidité. Sorcières de Macbeth!!! Je vis minauder des coquettes; on me montra deux gracieuses jeunes filles, faisant ce que les mères appellent leur entrée dans le monde ; délicates et précieuses fleurs que son souffle desséchant aura bientôt flétries! J'en fus ravi. Trois amateurs discoururent devant moi sur l'enthousiasme, la poésie, la musique; ils comparèrent ensemble Beethoven et M. Vaccai, Shakespeare et M. Ducis ; me demandèrent si j'avais lu Gœthe, si Faust m'avait amusé; que sais-je encore ? mille autres belles choses. Tout cela m'enchanta tellement que je quittai le salon en souhaitant qu'un aérolithe grand comme une montagne pût tomber sur le palais de l'Ambassade et l'écraser avec tout ce qu'il contenait.

En remontant l'escalier de la Trinita-del-monte, pour rentrer à l'Académie, il fallut dégainer nos grands couteaux romains. Des malheureux étaient en embuscade sur la plate-forme pour demander aux passants la bourse ou la vie. Mais nous étions deux, et ils n'étaient que trois; le craquement de nos couteaux, que nous ouvrîmes avec bruit, suffit pour les rendre momentanément à la vertu.

Souvent au retour de ces insipides réunions, où de plates cavatines, platement chantées au piano, n'avaient fait qu'exciter ma soif de musique et aigrir ma mauvaise humeur, le sommeil m'était impossible. Alors, je descendais au jardin, et, couvert d'un grand manteau à capuchon, assis sur un bloc de marbre, écoutant dans de noires et misanthropiques rêveries les cris des hiboux de la Villa-Borghèse, j'attendais le retour du soleil. Si mes camarades avaient connu ces veilles oisives à la belle étoile, ils n'auraient pas manqué de m'accuser de manière (c'est le terme consacré), et les charges de toute espèce ne se seraient pas fait attendre ; mais je ne m'en vantais pas.

Voilà avec la chasse et les promenades à cheval2 le gracieux cercle d'action et d'idées dans lequel je tournais incessamment pendant mon séjour à Rome. Qu'on y joigne l'influence accablante du siroco, le besoin impérieux et toujours renaissant des jouissances de mon art, de pénibles souvenirs, le chagrin de me voir, pendant deux ans, exilé du monde musical, une impossibilité inexplicable, mais réelle de travailler à l'Académie, et l'on comprendra ce que devait avoir d'intensité le spleen qui me dévorait.

1. Je l'ai vue un soir, chez M. Vernet, avec ses longs cheveux blancs tombant autour de sa figure mélancolique, comme les branches d'un saule pleureur : trois jours après je vis sa charge en terre, dans l'atelier de Dantan.
2. Ce fut dans une de ces excursions équestres faites dans la plaine de Rome avec Félix Mendelssohn, que je lui exprimai mon étonnement de ce que personne encore n'avait songé à écrire un scherzo sur l'étincelant petit poème de Shakespeare : La Fée Mab. Il s'en montra également surpris, et je me repentis aussitôt de lui en avoir donné l'idée. Je craignis ensuite pendant plusieurs années d'apprendre qu'il avait traité ce sujet. Il eût sans doute ainsi rendu impossible ou au moins fort imprudente la double tentative* que j'ai faite dans ma symphonie de Roméo et Juliette. Heureusement pour moi il n'y songea pas.
* Il y a en effet un scherzetto vocal et scherzo instrumental sur la fée Mab, dans cette symphonie.

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