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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XXXIV. Drame. — Je quitte Rome. — De Florence à Nice. — Je reviens à Rome. — Il n'y a personne de mort. (2/4) > XXXIV. Drame. — Je quitte Rome. — De Florence à Nice. — Je reviens à Rome. — Il n'y a personne de mort. (2/4)

Au lieu de rentrer, je m'achemine vers le quai de l'Arno, où demeurait une marchande de modes française. J'entre dans son magasin, et tirant ma montre :

— Madame, lui dis-je, il est midi ; je pars ce soir par le courrier, pouvez-vous, avant cinq heures, préparer pour moi une toilette complète de femme de chambre, robe, chapeau, voile vert, etc. ? Je vous donnerai ce que vous voudrez, je ne regarde pas à l'argent.

La marchande se consulte un instant et m'assure que tout sera prêt avant l'heure indiquée. Je donne des arrhes et rentre, sur l'autre rive de l'Arno, à l'hôtel des Quatre nations, où je logeais. J'appelle le premier sommelier :

— Antoine, je pars à six heures pour la France; il m'est impossible d'emporter ma malle, le courrier ne peut la prendre ; je vous la confie. Envoyez-la par la première occasion sûre à mon père dont voici l'adresse.

Et prenant la partition de la scène du Bal1 dont la coda n'était pas entièrement instrumentée, j'écris en tête : Je n'ai pas le temps de finir; s'il prend fantaisie à la sociètè des concerts de Paris d'exécuter ce morceau en l'absence de l'auteur, je prie Habeneck de doubler à l'octave basse, avec les clarinettes et les cors, le passage des flûtes placé sur la dernière rentrée du thème, et d'écrire à plein orchestre les accords qui suivent; cela suffira pour la conclusion.

Puis, je mets la partition de ma symphonie fantastique, adressée sous enveloppe à Habeneck, dans une valise, avec quelques hardes; j'avais une paire de pistolets à deux coups, je les charge convenablement; j'examine et je place dans mes poches deux petites bouteilles de rafraîchissements, tels que laudanum, strychnine ; et la conscience en repos au sujet de mon arsenal, je m'en vais attendre l'heure du départ, en parcourant sans but les rues de Florence, avec cet air malade, inquiet et inquiétant des chiens enragés.

A cinq heures, je retourne chez ma modiste ; on m'essaye ma parure qui va fort bien. En payant le prix convenu, je donne vingt francs de trop : une jeune ouvrière, assise devant le comptoir s'en aperçoit et veut me le faire observer ; mais la maîtresse du magasin, jetant d'un geste rapide mes pièces d'or dans son tiroir, la repousse et l'interrompt par un :

« Allons, petite bête, laissez monsieur tranquille! croyez-vous qu'il ait le temps d'écouter vos sottises! » et répondant à mon sourire ironique par un salut curieux mais plein de grâce ; « Mille remercîments, monsieur, j'augure bien du succès ; vous serez charmante, sans aucun doute, dans votre petite comédie. »

Six heures sonnent enfin ; mes adieux faits à ce vertueux Schlick qui voyait en moi une brebis égarée et blessée rentrant au bercail, ma parure féminine soigneusement serrée dans une des poches de la voiture, je salue du regard le Persée de Benvenuto, et sa fameuse inscription : « Si quis te læserit, ego tuus ultor ero2 » et nous partons.

Les lieues se succèdent, et toujours entre le courrier et moi règne un profond silence. J'avais la gorge et les dents serrées; je ne mangeais pas, je ne parlais pas. Quelques mots furent échangés seulement vers minuit, au sujet des pistolets dont le prudent conducteur ôta les capsules et qu'il cacha ensuite sous les coussins de la voiture. Il craignait que nous ne vinssions à être attaqués, et en pareil cas, disait-il, on ne doit jamais montrer la moindre intention de se défendre quand on ne veut pas être assassiné.

« — A votre aise, lui répondis-je, je serais bien fâché de nous compromettre, et je n'en veux pas aux brigands! »

Arrivé à Gênes, sans avoir avalé autre chose que le jus d'une orange, au grand étonnement de mon compagnon de voyage qui ne savait trop si j'étais de ce monde ou de l'autre, je m'aperçois d'un nouveau malheur : mon costume de femme était perdu. Nous avions changé de voiture à un village nommé Pietra santa et, en quittant celle qui nous amenait de Florence, j'y avais oublié tous mes atours. « Feux et tonnerres ! m'écriai-je, ne semble t-il pas qu'un bon ange maudit veuille m'empêcher d'exécuter mon projet ! C'est ce que nous verrons ! »

Aussitôt, je fais venir un domestique de place parlant le français et le génois. Il me conduit chez une modiste. Il était près de midi; le courrier repartait à six heures. Je demande un nouveau costume ; on refuse de l'entreprendre ne pouvant l'achever en si peu de temps. Nous allons chez une autre, chez deux autres, chez trois autres modistes, même refus. Une enfin annonce qu'elle va rassembler plusieurs ouvrières et qu'elle essayera de me parer avant l'heure du départ.

1. Ce manuscrit est entre les mains de mon ami J. d'Ortigue, avec l'inscription raturée.
2. « Si quelqu'un t'offense, je te vengerai. » — Cette statue célèbre est sur la place du Grand-Duc où se trouve aussi la poste.

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