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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - VOYAGE EN DAUPHINÉ. Deuxième pèlerinage à Meylan. — Vingt-quatre heures à Lyon. — Je revois Mme F****** — Convulsions de cœur. (2/13) > VOYAGE EN DAUPHINÉ. Deuxième pèlerinage à Meylan. — Vingt-quatre heures à Lyon. — Je revois Mme F****** — Convulsions de cœur. (2/13) Je me relève, j’arrache au mur de la tour une pierre qui
dut la voir, qu’elle toucha peut-être! je coupe une branche d’un
chêne voisin. En redescendant, à l’angle d’un champ où je n’avais pas passé en
1848, je reconnais la
roche tant cherchée alors et sur laquelle je l’avais vue monter. O surprise!
oui, c’est bien cela, un bloc de granit, il ne pouvait avoir disparu.
J’y monte, mes pieds se posent à la place même où se
posèrent ses pieds; j’en suis bien sûr cette fois, j’occupe dans l’atmosphère
l’espace que sa forme charmante occupa! J’emporte un petit fragment de mon
autel granitique. Mais les pois roses ?... ce n’est pas sans doute l’époque de
leur floraison; ou bien on les a détruits; j’ai beau chercher, ils n’y sont
plus. Ah! voilà le cerisier! comme il a grossi! je détache un lambeau de son
écorce, et je prends son tronc entre mes bras, je le presse convulsivement
contre ma poitrine. Tu te souviens d’elle sans doute, bel arbre! et tu me
comprends!...
Redescendu, sans rencontrer personne, à la porte de
l’avenue, je prends aussitôt la résolution d’entrer, de voir le jardin et la
maison. Les nouveaux propriétaires ne me traiteront peut-être pas comme un
malfaiteur. D’ailleurs qu’importe! — J’entre dans le jardin. Une vieille dame
fait un brusque mouvement de frayeur en m’apercevant à l’improviste au détour
d’une allée.
« — Excusez-moi, madame, lui dis-je d’une voix à peine
intelligible, et veuillez me permettre... de visiter votre jardin; il... me
rappelle... des souvenirs...
— Entrez, monsieur, promenez-vous.
— Oh, je ne veux qu’en faire le tour. »
Après quelques pas je trouve une jeune personne montée
sur une échelle et cueillant les fruits d’un poirier. Je la salue en passant. Je
traverse un fouillis d’arbustes qui interceptaient presque la circulation, tant
le petit jardin maintenant est mal entretenu. Je coupe une branche de seringa
que je cache dans mon sein, et je sors. En passant devant la porte toute grande
ouverte de la maison, je m’arrête sur le seuil à en considérer l’intérieur. La
jeune fille, qui était descendue de son arbre et que sa mère avait avertie sans
doute de la bizarre visite qui leur était faite, m’avait suivi. Elle m’aborde et
me dit gracieusement :
« — Je vous en prie, monsieur, prenez la peine d’entrer.
— Merci, mademoiselle, j’accepte. »
Et me voilà dans la petite chambre, dont la fenêtre
s’ouvre sur les profondeurs de la plaine, et d’où, quand j’avais douze ans,
elle me montra d’un geste fier et ravi la poétique vallée. Tout y est encore
dans le même état; le salon voisin est garni des mêmes meubles... Je mordais mon
mouchoir à belles dents. La jeune personne me regardait d’un air presque
effrayé.
« — Ne soyez pas surprise, mademoiselle, tous ces objets
que je revois... c’est que je ne suis pas... revenu ici depuis... quarante-neuf
ans! »
Et je m’enfuis éclatant en sanglots. Qu’ont dû penser ces
dames d’une si étrange scène dont elles ne connaîtront jamais le sens ?
Il se répète, va dire le lecteur. Ce n’est que trop vrai.
Toujours des souvenirs, toujours des regrets, toujours une âme qui se cramponne
au passé, toujours un pitoyable acharnement à retenir le présent qui s’enfuit,
toujours une lutte inutile contre le temps, toujours la folie de vouloir
réaliser l’impossible, toujours ce besoin furieux d’affections immenses! Comment
ne pas me répéter ? La mer se répète; toutes ses vagues se ressemblent.
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