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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XVI. Apparition de Weber à l'Odéon. — Castilblaze. — Mozart.— Lachnith. — Les arrangeurs. — Despair and die! (2/3) > XVI. Apparition de Weber à l'Odéon. — Castilblaze. — Mozart.— Lachnith. — Les arrangeurs. — Despair and die! (2/3) Si la différence fut grande entre la destinée de cette partition merveilleuse et
le sort de son aîné, le Freyschütz, ce n'est pas qu'il y ait rien de vulgaire
dans la physionomie de l'heureux élu de la popularité, rien de mesquin dans ses
formes, rien de faux dans son éclat, rien d'ampoulé ni d'emphatique dans son
langage; l'auteur n'a jamais fait, ni dans l'un ni dans l'autre, la moindre
concession aux puériles exigences de la mode, à celles plus impérieuses encore
des grands orgueils chantants. Il fut aussi simplement vrai, aussi fièrement
original, aussi ennemi des formules, aussi digne en face du public, dont il ne
voulait acheter les applaudissements par aucune lâche condescendance, aussi
grand dans le Freyschütz que dans Obéron. Mais la poésie du premier est pleine
de mouvement, de passion et de contrastes. Le surnaturel y amène des effets
étranges et violents. La mélodie, l'harmonie et le rythme combinés tonnent,
brûlent et éclairent; tout concourt à éveiller l'attention. Les personnages, en
outre, pris dans la vie commune, trouvent de plus nombreuses sympathies; la
peinture de leurs sentiments, le tableau de leurs mœurs, motivent aussi l'emploi
d'un moins haut style, qui, ravivé par un travail exquis, acquiert un charme
irrésistible, même pour les esprits dédaigneux de jouets sonores, et ainsi paré,
semble à la foule l'idéal de l'art, le prodige de l'invention.
Dans Obéron, au contraire, bien que les passions humaines y jouent un grand
rôle, le fantastique domine encore; mais le fantastique gracieux, calme, frais.
Au
lieu de monstres, d'apparitions horribles, ce sont des chœurs d'esprits aériens,
des sylphes, des fées, des ondines. Et la langue de ce peuple au doux sourire,
langue à part, qui emprunte à l'harmonie son charme principal, dont la mélodie
est capricieusement vague, dont le rythme imprévu, voilé, devient souvent
difficile à saisir, est d'autant moins intelligible pour la foule que ses
finesses ne peuvent être senties, même des musiciens, sans une attention extrême
unie à une grande vivacité d'imagination. La rêverie allemande sympathise plus
aisément, sans doute, avec cette divine poésie ; pour nous, Français, elle ne
serait, je le crains, qu'un sujet d'études curieux un instant, d'où naîtraient
bientôt après la fatigue et l'ennui1. On en a pu juger quand la troupe lyrique
de Carlsruhe vint, en 1828, donner des représentations au théâtre Favart. Le
chœur des ondines, ce chant si mollement cadencé, qui exprime un bonheur si pur,
si complet, ne se compose que de deux strophes assez courtes ; mais comme sur un
mouvement lent se balancent des inflexions continuellement douces, l'attention
du public s'éteignit au bout de quelques mesures ; à la fin du premier couplet,
le malaise de l'auditoire était évident, on murmurait dans la salle, et la
seconde strophe fut à peine entendue. On se hâta, en conséquence, de la
supprimer pour la seconde représentation.
Weber, en voyant ce que Castilblaze, ce musicien vétérinaire, avait fait de son
Freyschütz, ne put que ressentir profondément un si indigne outrage, et ses
justes plaintes s'exhalèrent dans une lettre qu'il publia à ce sujet avant de
quitter Paris. Castilblaze eut l'audace de
répondre : que les modifications dont l'auteur allemand se plaignait avaient
seules pu assurer le succès de Robin des Bois, et que M. Weber était bien ingrat
d'adresser des reproches à l'homme qui l'avait popularisé en France.
O misérable !... Et l'on donne cinquante coups de fouet à un pauvre matelot pour
la moindre insubordination!..
C'était pour assurer aussi le succès de la Flûte enchantée, de Mozart, que le
directeur de l'Opéra, plusieurs années auparavant, avait fait faire le beau pasticcio que nous possédons, sous le titre de :
les Mystères d'Isis. Le
livret est un mystère lui-même que personne n'a pu dévoiler. Mais, quand ce
chef-d'œuvre fut bien et dûment charpenté, l'intelligent directeur appela à son
aide un musicien allemand pour charpenter aussi la musique de Mozart. Le
musicien allemand n'eut garde de refuser cette tâche impie. Il ajouta quelques
mesures à la fin de l'ouverture (l'ouverture de la Flûte enchantée!!!) il fit un
air de basse avec la partie de soprano d'un chœur2 en y ajoutant encore quelques
mesures de sa façon ; il ôta les instruments à vent dans une scène, il les
introduisit dans une autre ; il altéra la mélodie et les desseins
d'accompagnement de l'air sublime de Zarastro, fabriqua une chanson avec le
chœur des esclaves « O cara armonia, » convertit un duo en trio, et comme si la
partition de la Flûte enchantée ne suffisait pas à sa faim de harpie, il
l'assouvit aux dépens de celles de Titus et de Don Juan. L'air «
Quel charme à
mes esprits rappelle » est tiré de Titus, mais pour l'andante seulement :
l'allégro qui le complète ne plaisant pas apparemment à notre uomo capace, il
l'en arracha pour en cheviller à la place un autre de sa composition, dans
lequel il fit entrer seulement des lambeaux de celui de Mozart. Et devinerait-on
ce que ce monsieur fit encore du fameux « Fin ch'han dal vino, »
de cet éclat de verve libertine où se résume tout le caractère de Don Juan ?...
Un trio pour une basse et deux soprani, chantant entre autres gentillesses
sentimentales, les vers suivants :
Heureux délire!
Mon cœur soupire!
Que mon sort diffère du sien! Quel plaisir est égal au mien !
Crois ton amie,
C'est pour la vie
Que mon sort va s'unir au tien.
O douce ivresse
De la tendresse!
Ma main te presse,
Dieu! quel grand bien! (sic)
Puis, quand cet affreux mélange fut confectionné, on lui donna le nom de les
Mystères d'Isis, opéra; lequel opéra fut représenté, gravé et publié3 en cet
état, en grande partition ; et l'arrangeur mit, à côté du nom de Mozart, son nom
de crétin, son nom de profanateur, son nom de Lachnith4 que je donne ici pour
digne pendant à celui de Castilblaze.
1. Depuis que ceci a été écrit, la mise en scène d'Obéron au Théâtre-Lyrique,
est venue me donner un démenti à cette opinion. Ce chef-d'œuvre a produit une
très-grande sensation; le succès en a été immense. — Le public parisien aurait
donc fait en musique de notables progrès.
2. Le chœur : Per voi risplende il giorno.
3. La partition des Mystères d'Isis et celle de Robin des Bois sont imprimées,
elles se trouvent toutes les deux à la bibliothèque du Conservatoire de Paris.
4. Et non pas Lachnitz; il est important de ne pas mal orthographier le nom d'un
si grand homme.
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