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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - XV. Mes soirées à l'Opéra. — Mon prosélytisme. — Scandales. — Scène d'enthousiasme. Sensibilité d'un mathématicien. (2/3) > XV. Mes soirées à l'Opéra. — Mon prosélytisme. — Scandales. — Scène d'enthousiasme. Sensibilité d'un mathématicien. (2/3)

Je reprends le fil de mon histoire. Quand le titre inscrit sur les parties d'orchestre nous annonçait que rien n'avait été changé dans le spectacle, je continuais ma prédication, chantant les passages saillants, expliquant les procédés d'instrumentation d'où résultaient les principaux effets, et obtenant d'avance, sur ma parole, l'enthousiasme des membres de notre petit club. Cette agitation étonnait beaucoup nos voisins du parterre, bons provinciaux pour la plupart, qui, en m'entendant pérorer sur les merveilles de la partition qu'on allait exécuter, s'attendaient à perdre la tête d'émotion, et y éprouvaient en somme plus d'ennui que de plaisir. Je ne manquais pas ensuite de désigner par son nom chaque musicien à son entrée dans l'orchestre ; en y ajoutant quelques commentaires sur ses habitudes et son talent.

« Voilà Baillot! il ne fait pas comme d'autres violons » solos, celui-là, il ne se réserve pas exclusivement pour » les ballets ; il ne se trouve point déshonoré d'accompagner un opéra de Gluck. Vous entendrez tout à l'heure un chant qu'il exécute sur la quatrième corde ; on le distingue au-dessus de tout l'orchestre. »

— « Oh ! ce gros rouge, là-bas ! c'est la première » contrebasse, c'est le père Chénié ; un vigoureux gaillard malgré son âge ; il vaut à lui tout seul quatre contrebasses ordinaires; on peut être sûr que sa partie sera exécutée telle que l'auteur l'a écrite : il n'est pas de l'école des simplificateurs. »

« Le chef d'orchestre devrait faire un peu attention à M. Guillou, la première flûte qui entre en ce moment, il prend avec Gluck de singulières libertés. Dans marche religieuse d'Alceste, par exemple, l'auteur a écrit des flûtes dans le bas, uniquement pour obtenir l'effet particulier aux sons graves de cet instrument; M. Guillou ne s'accommode pas d'une disposition pareille de sa partie; il faut qu'il domine ; il faut qu'on l'entende, et pour cela il transpose ce chant de la flûte à l'octave supérieure, détruisant ainsi le résultat que l'auteur s'était promis, et faisant d'une idée ingénieuse, une chose puérile et vulgaire. »

Les trois coups annonçant qu'on allait commencer, venaient nous surprendre au milieu de cet examen sévère des notabilités de l'orchestre. Nous nous taisions aussitôt en attendant avec un sourd battement de cœur le signal du bâton de mesure de Kreutzer ou de Valentino. L'ouverture commencée, il ne fallait pas qu'un de nos voisins s'avisât de parler, de fredonner ou de battre la mesure ; nous avions adopté pour notre usage, en pareil cas, ce mot si connu d'un amateur : « Le ciel confonde ces musiciens, qui me privent du plaisir d'entendre monsieur! »

Connaissant à fond la partition qu'on exécutait, il n'était pas prudent non plus d'y rien changer ; je me serais fait tuer plutôt que de laisser passer sans réclamation la moindre familiarité de cette nature prise avec les grands maîtres. Je n'allais pas attendre pour protester froidement par écrit contre ce crime de lèse-génie ; oh ! non, c'est en face du public, à haute et intelligible voix, que j'apostrophais les délinquants. Et je puis assurer qu'il n'y a pas de critique qui porte coup comme celle-là. Ainsi, un jour, il s'agissait d'Iphigénie en Tauride, j'avais remarqué à la représentation précédente qu'on avait ajouté des cymbales au premier air de danse des Scythes en si mineur, où Gluck n'a employé que les instruments à cordes, et que dans le grand récitatif d'Oreste, au troisième acte, les parties de trombones, si admirablement motivées par la scène et écrites dans la partition, n'avaient pas été exécutées. J'avais résolu, si les mêmes fautes se reproduisaient, de les signaler. Lors donc que le ballet des Scythes fut commencé, j'attendis mes cymbales au passage, elles se firent entendre comme la première fois dans l'air que j'ai indiqué. Bouillant de colère, je me contins cependant jusqu'à la fin du morceau, et profitant aussitôt du court moment de silence qui le sépare du morceau suivant, je m'écriai de toute la force de ma voix :

« Il n'y a pas de cymbales là-dedans; qui donc se permet de corriger Gluck1 ? »

On juge de la rumeur! Le public qui ne voit pas très-clair dans toutes ces questions d'art, et à qui il était fort indifférent qu'on changeât ou non l'instrumentation de l'auteur, ne concevait rien à la fureur de ce jeune fou du parterre. Mais ce fut bien pis quand, au troisième acte, la suppression des trombones du monologue d'Oreste, ayant eu lieu comme je le craignais, la même voix fit entendre ces mots : « Les trombones ne sont pas partis! C'est insupportable ! »

L'étonnement de l'orchestre et de la salle ne peut se comparer qu'à la colère (bien naturelle, je l'avoue) de Valentino qui dirigeait ce soir-là. J'ai su ensuite que ces malheureux trombones n'avaient fait que se soumettre à un ordre formel2 de ne pas jouer dans cet endroit; car les parties copiées étaient parfaitement conformes à la partition.

Pour les cymbales que Gluck a placées avec tant de bonheur dans le premier chœur des Scythes, je ne sais qui s'était avisé de les introduire également dans l'air de danse, dénaturant ainsi la couleur et troublant le silence sinistre de cet étrange ballet. Mais je sais bien qu'aux représentations suivantes, tout rentra dans l'ordre, les cymbales se turent, les trombones jouèrent, et je me contentai de grommeler entre mes dents: « Ah! c'est bien heureux! »

1. Il y a des cymbales que dans le chœur des Scythes: « Les dieux apaisent leur courroux. » Le ballet en question étant d'un tout autre caractère, est en conséquence, instrumenté différemment.
2. Tant pis pour celui qui avait donné l'ordre.

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