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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M. Humbert Ferrand. Cinquième lettre. Prague. (2/3) > A M. Humbert Ferrand. Cinquième lettre. Prague. (2/3) A M. Humbert Ferrand. Cinquième lettre. Prague. (2/3)
Les conversations que j’ai eues avec M. Gordigiani, et
la méthode de ceux de ses élèves que j’ai entendus, m’ont prouvé qu’il était
entièrement dans ces idées-là.
Si, comme je le démontrerai tout à l’heure, il manque
beaucoup de classes spéciales dans le Conservatoire de Paris, il ne faut pas
s’étonner qu’il en soit de même dans celui de Prague. L’enseignement, en effet,
est loin d’y être complet. Il a produit néanmoins un assez grand nombre d’élèves
capables, pour pouvoir aujourd’hui, avec ses forces presque seules, exécuter
d’une manière satisfaisante des œuvres difficiles, telles que la symphonie avec
chœurs de Beethoven. C’est là sans doute un des plus beaux résultats que M.
Kittl ait encore obtenus.
Si un conservatoire est un établissement destiné à
conserver toutes les parties de l’art musical et les connaissances qui
s’y rattachent directement, il est étrange qu’on ne soit pas encore parvenu,
même dans celui de Paris, à réaliser un semblable programme. Pendant longtemps
notre école instrumentale ne possédait point de classes pour l’étude des
instruments les plus indispensables, tels que la contre-basse, le trombone, la
trompette et la harpe. Depuis quelques années ces lacunes sont comblées. Il en
reste malheureusement beaucoup d’autres, et je vais les signaler. Mes
observations à ce sujet feront jeter les hauts cris à beaucoup de gens; on les
trouvera folles, ridicules, absurdes... je l’espère du moins. Je dirai donc :
lo L’étude du violon n’est pas complète; on
n’enseigne pas aux élèves le pizzicato; d’où il résulte qu’une foule de
passages arpégés sur les quatre cordes, ou martelés avec deux ou trois doigts
sur la même corde, dans un mouvement vif, passages et arpèges parfaitement
praticables, puisque les joueurs de guitare les exécutent (sur le violon), sont
déclarés impossibles par les violonistes, et, par suite, interdits aux
compositeurs. Il est probable que dans cinquante ans quelque directeur novateur
aura poussé la hardiesse jusqu’à exiger l’enseignement du pizzicato dans
les classes du violon. Alors les artistes, maîtres d’en tirer les effets neufs
et piquants qu’on en peut attendre, se moqueront de nos violonistes actuels,
comme ceux-ci se moquent des violonistes du siècle dernier qui criaient : « Gare
l’ut! » et ils auront raison. L’emploi des sons harmoniques n’est
pas non plus étudié d’une manière officielle et complète. Le peu que nos jeunes
violonistes savent à cet égard, ils l’ont appris seuls depuis l’apparition de
Paganini.
2o Il est fâcheux qu’on n’ait point
de classe spéciale d’alto. Malgré sa parenté avec le violon, cet instrument,
pour être bien joué, a besoin d’études qui lui soient propres et d’une pratique
constante. C’est un déplorable, vieux et ridicule préjugé qui a fait confier
jusqu’à présent l’exécution des parties d’alto à des violonistes de seconde ou
de troisième force. Quand un violon est médiocre, on dit : Il fera un bon alto.
Raisonnement faux au point de vue de la musique moderne, qui (chez les grands
maîtres au moins) n’admet plus dans l’orchestre de parties de remplissage, mais
donne à toutes un intérêt relatif aux effets qu’il s’agit de produire, et ne
reconnaît point que les unes soient à l’égard des autres dans un état
d’infériorité.
3o On avait eu grand tort jusqu’ici
de ne point enseigner le cor de basset dans les classes de clarinette. Il
en résultait cette conséquence ridiculement désastreuse qu’une foule de morceaux
de Mozart ne pouvaient être (en France) exécutés intégralement. Aujourd’hui les
perfectionnements apportés par Adolphe
Sax à la
clarinette-basse la rendant propre à exécuter tout ce qu’on a pu écrire pour
le cor de basset, et plus encore, puisque son étendue au grave dépasse celle du
cor de basset d’une tierce mineure, le timbre de la clarinette basse étant, en
outre, d’une nature semblable à celui de cet instrument, mais plus belle
seulement, c’est la clarinette basse qu’on devrait étudier dans les
conservatoires, conjointement avec les clarinettes soprani et les petites
clarinettes en mi bémol, en fa et en la bémol haut.
4o Le saxophone, nouveau membre de la
famille des clarinettes, et d’un grand prix quand les exécutants sauront en
faire valoir les qualités, doit prendre aujourd’hui une place à part dans
l’enseignement des conservatoires, car le moment n’est pas éloigné où tous les
compositeurs voudront l’employer.
5o Nous n’avons point de classe
d’ophicléide, d’où il résulte que sur cent ou cent cinquante individus soufflant
à cette heure, à Paris, dans ce difficile instrument, c’est à peine s’il en est
trois qu’on puisse admettre dans un orchestre bien composé. Un seul, M.
Caussinus, est d’une grande force.
6o Nous n’avons point de classe de
bass-tuba,
puissant instrument à cylindres, différant de l’ophicléide par le timbre, le
mécanisme et l’étendue, et qui remplit très-exactement, dans la famille des
trompettes, le rôle de la contre-basse dans la famille des violons. La plupart
des compositeurs pourtant emploient aujourd’hui dans leurs partitions soit un
ophicléide, soit un bass-tuba et quelquefois l’un et l’autre.
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